Citations sur La vie têtue (41)
Les années qui ont suivi ta mort, je les ai attendues le cœur serré. Tant qu'elles reviennent, ta mort est une absence, mais pas une rupture. Le retour des hirondelles, c'est la vie têtue. C'est toi ou moi à cinq ou six ans, qui tenons tête, ne lâchons pas. C'est toi qui n'es plus, et toi qui es encore là, différemment. Leur ballet facétieux au-dessus du petit étang, en bas du hameau, m'a ouvert le cœur comme personne d'autre. La joie des hirondelles au-dessus de l'eau, c'est toi qui ne m'as pas complètement quittée. Toi qui perdures, et toi qui gagnes, malgré la mort. Le retour des hirondelles, c'est une place au monde pour mon cœur contradictoire, la possibilité de n'avoir pas à y démêler la joie de la tristesse.
Faut-il encore chercher à faire justice, à réparer, dans un monde qui ne nous en laisse pas le temps ? Que valent nos histoires au regard de la détérioration des saisons ?
On se représente à tort la famille comme cette entité bien délimitée, immuable, soudée par un terreau biologique. Or c'est un terrain fluctuant, en partie instable, en recomposition permanente. Ou la biologie n'est que peu de chose, quoi qu'on en dise. La famille que tu as connue de ton vivant n'existe presque plus, et, aujourd'hui, d'autres nous sont venues qui ne t'ont pas connue. Ce qui fait notre commun peu à peu s'éloigne de toi.
Tous les jours, je vais marcher le long des surfaces nues qui abritaient les bosquets de notre enfance. Les chènes centenaires et les ruisseaux qui couraient en dessous ont disparu.
Je voudrais replanter les haies de force.
Je voudrais faire revenir les vieux arbres, et avec eux ce qu'ils ont emmené de la terre qui était la nôtre. Mais un arbre ne s'impose pas, il se laisse advenir.
La brutalité ne se conjugue qu'avec l'anéantissement, pas avec la création.
Je voudrais t'écrire un livre dont on entend les pages respirer quand on les tourne
Peu importe que nos souvenirs divergent. Je n'écris pas pour rétablir la vérité. Faire son deuil de toi c'est, pour chacune, ancrer en nous une histoire qui apaise, aussi mensongère fût-elle. Les vivantes ne s'embarrassent pas de la vérité, ce n'est pas elle qui guérit. p. 89
Les années qui ont suivi ta mort, je les ai attendues le cœur serré. Tant qu'elles reviennent la mort est une absence, mais pas une rupture. Le retour des hirondelles, c'est la vie têtue. C'est toi ou moi à l'âge de cinq ou six ans, qui tenons tête, ne lâchons pas. C'est toi qui n'es plus, et toi qui es encore là, différemment. Leur ballet facétieux, au-dessus du petit étang, en as du hameau, m'a ouvert le cœur comme personne d'autre. La joie des hirondelles, au-dessus de l'eau, c'est toi qui ne m'as pas complètement quittée. Toi qui perdures, et toi qui gagnes, malgré la mort. Le retour des hirondelles, c'est une place au monde pour mon cœur contradictoire, la possibilité de n'avoir pas à y démêler la joie de la tristesse. (pages 33-34)
Dans la langue comme dans nos histoires, nous ne sommes jamais que de passage.
Tu aimais infiniment les vieux arbres, et, pendant un temps, coller à eux ton corps meurtri, émietté, a suffi à ta survie. J’aime à penser qu’ailleurs, en d’autres temps, nous avons eu cette vie qui nous revenait, et que, quelque part, dans l’humeur délicate d’une fin de journée lumineuse, tu es encore en vie, et nous sommes réunies, toi, moi et la forêt.
Nos existences de sœurs ne sont pas tout à fait séparables et ta mort n'y change rien. Au contraire, en me quittant, tu m'habites un peu plus.