Jean-Jacques Rousseau, comme
Molière, est mort sur son dernier acte, mais non sur scène. C'est en effet retiré du monde à Ermenonville qu'il écrit
les Rêveries du Promeneur Solitaire avant de s'éteindre.
J'avoue avoir été ému par ces promenades rêveuses d'un homme malade, solitaire, gagné par la paranoïa, qui se retire du monde après avoir été le formidable polémiste du
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ou
du Contrat social.
Le "Je" romantique de ces dix promenades -la dernière, symboliquement, inachevée- m'a fait penser aux pages les plus douces des Contemplations de
V. Hugo ou
De Chateaubriand, mais aussi à la franchise de
Montaigne. Si Rousseau avait pour intention d'emporter l'empathie de ces contemporains, alors la fomule est très habile... mais je n'en crois rien. A la lecture, on imagine très bien cet amoureux de nature, herborisant parmi les collines, et devisant sur la vie au crépuscule de la sienne.
C'est à la fois un ouvrage de pensées philosophiques, et empreint d'une grande poésie.
J.J. Rousseau explore avec nous les chemins de campagne le menant au bonheur intérieur, dans l'ici et maintenant. Ce rapport entre un état de quiétude de l'âme et la marche est, je crois, bien connu des marcheurs, et Rousseau en parle à merveille.
Cet effort d'introspection ne pouvait qu'être mal perçu de ses contemporains mais peut-être y-a-t-il plus aujourd'hui à tirer pour le lecteur du XXième siècle de ce texte méditatif interrogeant la sagesse intemporelle que de ses grands textes de philosophie politique, désormais intégrés à la pensée commune, ou de l'Emile, à la pédagogie surannée.
Tout en étant cohérent avec sa philosophie politique sur l'homme et sa liberté, ce dernier texte est comme un chant du cygne, empreint d'un grand romantisme. Rousseau ne cherche plus à convaincre, laisse ici vagabonder son coeur en liberté ; c'est très beau, et du coup touche plus que le meilleur des discours.