AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fabienne2909


Ma sombre Vanessa est le roman le plus percutant et bouleversant qu'il m'a été donné de lire depuis quelques temps.

Vanessa Wye fait sa rentrée en 2000 dans un pensionnat réputé du Maine. Jeune fille solitaire et complexe, renfermée, elle y fait la connaissance de Jacob Strane, son professeur de littérature. En prenant par la flatterie, en faisant se sentir spéciale une jeune fille qui, forcément, à 15 ans, se cherche, comprend mal ses émois, le professeur tisse lentement sa toile autour d'elle afin de la faire consentir, ou en tout cas lui donner l'impression de le faire, à une relation qui va beaucoup trop loin, trop vite.

Parallèlement, l'intrigue se déploie 17 ans plus tard, quand Strane est accusé d'abus sexuel par une ancienne élève. Vanesse est à son corps défendant obsédée par le post et le profil de l'accusatrice, notamment parce que ce scandale vient remuer la boue des souvenirs de son histoire d'amour, dont elle vient lentement, à regret, remettre en cause la nature véritable.

« J'ai juste vraiment besoin que ce soit une histoire d'amour. […] J'ai vraiment, vraiment besoin que ce soit cela. […] Parce que si ce n'est pas une histoire d'amour, qu'est-ce que c'est ? ».

La navigation entre ces deux versions de la narratrice, la Vanessa adolescente et celle adulte, permet de transcrire ainsi adroitement les rouages de la prédation et la persistance de l'emprise psychologique dont Vanessa va souffrir pendant tant d'années, lui gâchant largement la vie. En pensant avoir provoqué Strane, en se sentant responsable (Strane la persuadant que c'est elle qui est systématiquement venue le chercher, qui l'a attiré sans qu'il puisse y résister, par la « noirceur » qu'il a perçue en elle et qui faisait écho à la sienne) de la dépravation de cet homme à qui elle n'a jamais su (ou pu) refuser quoi que ce soit (au prix de scènes de viol éprouvantes à lire), Vanessa refuse de se sentir victime (« le trope de la différence d'âge n'a plus aucun secret pour moi, et je consomme des livres, des films, et tout ce qui met en scène une histoire d'amour entre un adulte et une mineure. Je me cherche tout le temps dans ces oeuvres, mais je ne trouve jamais rien de vraiment juste. Les filles dans ces histoires sont toujours des victimes, et moi je n'en suis pas une – et cela n'a rien à voir avec ce que Strane m'a fait ou pas quand j'étais plus jeune. Je ne suis pas une victime parce que je n'en ai jamais voulu être une, et si je ne veux pas en être une, alors je n'en suis pas une. Voilà comment ça marche. La différence entre le viol et le sexe est un état d'esprit. On ne peut pas violer une personne consentante, n'est-ce pas ? […] On ne peut pas violer une personne consentante. La blague est terrible, certes, mais elle est censée »), allant de ce fait se sacrifier pour son bourreau, lui chercher perpétuellement des excuses. L'auteur retranscrit ainsi finement la psychologie de la victime d'un pédophile, du déni qui la pousse à penser qu'elle apprécie les traitements de son amant, qu'elle l'aime alors que clairement, la sidération et la dissociation cognitive sont des mécanismes qu'elle a mis en place dès le début pour se protéger.

Un des grands points positifs du roman est d'éviter l'écueil du pathos grâce à la personnalité froide de Vanessa (causée par le stress traumatique) et la carapace qu'elle s'est construite pour survivre. Clairement, ce n'est pas un personnage aimable (pourrait-on l'être avec une vie telle que la sienne ?) sur qui on s'apitoie (paradoxalement). Ce qui est bien joué de la part de l'autrice car elle pousse en cela le lecteur à réfléchir par lui-même à la notion de consentement, à ses conditions d'altération, à ce qui peut en constituer la zone grise. Elle interroge aussi finement la notion de victime : à partir de quel moment en est-on une ? Quand on se sent traumatisé ? L'est-on quand on ne ressent rien ?
On ne s'attache d'ailleurs pas plus aux autres personnages, puisqu'ils sont vus à travers les yeux de Vanessa, qui met tout le monde et sa vie à distance de cette souffrance qu'elle se refuse à éprouver. C'est peut-être de ne pouvoir m'accrocher à un élément positif (même une personnalité comme celle de Henry Plough qui pourrait être sympathique, est rendue de manière distordue par la vision de Vanessa, ce qui nous fait douter de ses intentions) qui a rendu pour moi la lecture de ce roman si difficile.

Le fait que Vanessa soit privée de toute capacité d'action, assister à l'anéantissement d'un esprit aussi brillant par les manipulations de Strane m'ont été très désagréables à lire par le sentiment de gâchis que j'ai ressenti, d'impuissance.

Ma sombre Vanessa est un livre coup de poing, clivant, et malheureusement terriblement actuel. Mais sa force est aussi d'instruire sur ces mécanismes de manipulation psychologique, afin de changer de regard sur leurs victimes et leurs réactions, en les comprenant mieux.
Commenter  J’apprécie          280



Ont apprécié cette critique (26)voir plus




{* *}