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Critique de GeorgesSmiley


Rares sont les livres qui, le dernier chapitre avalé, la dernière phrase lue et le dernier verre bu (autant le dire tout de suite, on boit beaucoup dans ce roman) vous tirent une larme. C'est le cas de ces Quatre saisons à Mohawk dans lequel le narrateur paye une dernière tournée à ce père, tellement éloigné de l'archétype idéal du pater familias, qu'il n'a pas choisi, mais qu'il a fini par aimer.
« Contrairement à beaucoup de soldats, mon père savait très bien ce qu'il voulait faire une fois la guerre finie. Il voulait boire, courir les filles et jouer aux courses. »
Entre ce père volage, fuyant, joueur et alcoolique, et une mère aimante mais dépressive et solitaire, l'enfance d'Ed, le narrateur, avait tout pour tourner au cauchemar. Ce roman, et c'est un tour de force, échappe à la noirceur d'un quotidien à priori désespérant pour dérouler la chronique, souvent gaie, toujours admirable de finesse et de sensibilité, de l'enfance et de l'adolescence d'un gamin de la classe populaire américaine des années soixante qui avait tout pour mal tourner et qui retombera sur ses pieds.
« Pendant un court moment, je suis redevenu son fils, le fils de cette curieuse femme qui avait fait de son mieux pour me sauver du probable. »
On retrouve, comme dans La Chute de l'empire Whiting, certains des thèmes et des décors chers à l'auteur. En premier lieu, il y a les femmes, dont on a tellement besoin, qu'on ne comprend pas, qui finissent par faire peur et dont on s'éloigne en s'accrochant à son verre et en se la racontant avec les autres piliers de bar. Ces femmes qui s'éloignent et qui ne sont plus là lorsqu'on se rend compte, bien trop tard, seul et prêt à crever comme un chien, qu'elles étaient une bénédiction.
« Mon père et Wussy étaient des hommes de Mohawk, c'est à dire que l'un et l'autre avaient un jour tourné le dos à une femme. Leurs compagnons étaient nombreux à en avoir abandonné plus d'une. La plupart se rendaient compte maintenant qu'ils avaient fait une connerie. Certains l'admettaient même au bout du énième verre. »
Il y a aussi le décor. L'action de l'Empire se passait beaucoup dans un grill-bar, institution tellement emblématique de l'Amérique populaire. Ici aussi, les Quatre saisons de Mohawk se déroulent la plupart du temps « Chez Mike », autour de Sam, le père, juché sur son tabouret au centre des discussions fumeuses des autres boit-sans-soif.
« A sa façon, le Grill a participé à mon éducation. J'y ai tout appris sur les chevaux et les pronostics. »
Mais il y a aussi, et c'est le thème principal du roman, ce père démissionnaire, capable de disparaitre sans un mot et de réapparaitre dix ans plus tard sans crier gare. Ce père qui vit au jour le jour, sans projets, sans attaches, et qui a toujours plus soif que faim…
"Fils !" a gueulé le pater lorsqu'il m'a aperçu. Il avait devant lui un verre de whisky vide et la bière qui va avec, à moitié pleine. Plein, lui, il l'était vraiment. »
…ce père, sans illusions sur lui-même (« Smooth lui a demandé : « Comment t'as fait pour avoir un fils aussi intelligent ? _ J'ai confié son éducation à sa mère. »), est tout de même attachant. Et le fils s'attache, de silences en réflexions amères (« j'ai quand même fait deux guerres, une contre les Allemands et une avec ta mère. »), l'affection est bien là, silencieuse mais réelle et solide quand les temps deviennent plus durs. Elle s'affirme et va grandissante jusqu'à la pirouette finale, la dernière phrase du roman, celle qui doit normalement, si vous êtes un père et que vous avez été un fils, déclencher votre flux lacrymal.
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