« Les jours qu'on a passés là bas, dans la maison. C'est ça, ma vie. C'est ça, ma vérité. C'est ça, mon océan. »
Je voudrais dormir, je voudrais que les rêves m’arrachent à ce monde et me fassent tout oublier. Arrêtent les souvenirs qui dansent autour de moi. Mettent fin à cette douleur qui me déchire.
L'océan, c'est ma mère qui m'en parlait. Elle me disait qu'il existe un endroit où il n'y a que de l'eau à perte de vue, de l'eau en mouvement perpétuel qui n'arrête pas de déferler vers vous, puis de repartir. Un jour, elle m'a montré une photo qui représentait, d'après ce qu'elle m'a dit, mon arrière-arrière-arrière-grand-mère quand elle était petite, debout dans l'océan. ça fait des années et il y a longtemps que la photo a été perdue par un incendie, mais je revois encore cette image ternie et froissée. Une petite fille au milieu du néant.
J'ouvre les yeux et je regarde mon nouveau chien. Il tressaute dans son someil, devant la cheminée, en faisant ses rêves de jeune chiot où il poursuit sans doute quelque chose qu'il n'attrapera jamais. La seule différence entre lui et moi, c'est que demain, il aura oublié qu'il a voulu une chose inaccessible, alors que moi je m'en souviendrai toujours.
A cet instant, je me demande si je vais avoir mal. S'il restera quelque chose de moi qui pourra muter. Et si l'envie de chair humaine sera comme mon envie d'océan.
Est-ce que les Damnés connaissent la peur ? Est-ce qu'ils connaissent le deuil, l'amour, la douleur et le manque ? Une vie débarrassée de toute cette souffrance ne serait-elle pas plus facile ?
Le plus bizarre, avec une invasion de Damnés, c'est que le sol n'est pas jonché de morts ; tous se relèvent et rejoignent les rangs de l'ennemi, ou sont dévorés. On voit toujours plus d'amis et de voisins se faire abattre, puis revenir et abattre à leur tour d'autres amis et voisins.
Est-ce que les Damnés connaissent la peur ? Est-ce qu'ils connaissent le deuil, l'amour, la douleur et le manque ? Une vie débarrassée de toute cette souffrance ne serait-elle pas plus facile ?
Alors les Gardiens ont mis au point tout un système complexe de portes et de poulies qui retient les Infectés dans une sorte de purgatoire entre les vivants et les Damnés. C'est là qu'est [XX], à présent. Mois je suis assise à proximité. Je l'écoute faire craquer sa mâchoire et claquer des dents comme un chat qui convoite une souris, pendant que l'infection fait rage dans son corps. Elle est trop mal en point pour parler, désormais, trop ravagée ne serait-ce que pour comprendre.
Rien ne pourra plus nous retenir enfermés, quand on apprendra qu'il y a quelqu'un de l'Extérieur. Et je serai la première à franchir le portail. Je serai celle qui nous conduira vers l'océan. Vers l'endroit que les Damnés ont laissé intact.