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Critique de Ingannmic


Après l'intrigue tourbillonnante et polyphonique de son premier roman "Le coeur qui tourne", Donal Ryan nous livre avec ce deuxième titre un récit à la structure plus linéaire, centré sur un personnage, et égrenant ses chapitres au rythme des douze mois de l'année. Une année pour suivre Johnsey Cunliffe, et les épisodes successifs de sa triste épopée.
Johnsey est un esprit simple, le genre d'individu que certains désigneraient sans doute comme l'idiot du village. Certains comme Eugene Penrose et sa bande, pourtant pas des lumières non plus, du genre bêtes et méchants, qui traînent leurs guêtres de chômeurs sur le muret du monument aux morts de la bourgade, en attente d'une victime facile à brimer, voire à tabasser.

Johnsey lui, est un gentil, qui à vingt-quatre ans se soumet à l'immuable et pitoyable routine de sa vie : se lever le matin pour aller exercer un boulot sous-payé de manutentionnaire, se faire brutaliser sur le chemin du retour par Penrose et consorts et s'efforcer de ne pas en pleurer, aller se coucher après avoir diné avec sa chère maman, et penser dans son lit à de jolies filles qu'il n'approchera jamais ou à son défunt père, qu'il n'est pas loin de considérer comme un héros. Il faut dire qu'à l'inverse de son fils, cet homme direct et pragmatique ne s'est jamais laissé marcher sur les pieds et n'a jamais craint une bonne bagarre. Toutefois réputé autant pour son bon coeur que pour ses colères, c'était un pilier de la communauté, qui s'est toujours montré patient et doux avec Johnsey, à qui il a tenté, en vain, d'enseigner la maçonnerie. Face à son souvenir, mais aussi à celui des autres figures remarquables de la famille -qui a notamment compté quelques grands oncles activement indépendantistes- le jeune homme, tristement conscient de ses limites et de la déception qu'il a dû causer à ses proches, se considère comme l'idiot qui a pourri la lignée Cunliffe.

Depuis que le père est mort, deux ans auparavant, l'état de la mère se délite peu à peu, elle se fait de plus en plus distraite et silencieuse, n'arrête pas de se ratatiner. Jusqu'à disparaître elle aussi.

A la familière tristesse qui l'habite depuis le décès paternel, s'ajoute alors la nécessité d'affronter une solitude infinie, l'idée de lendemains éternellement semblables et dénués de tout espoir de tranquillité d'esprit. Car si Johnsey, trop complexé et empoté pour soutenir une conversation normale, est généralement mutique, à l'intérieur ça bouillonne : il rumine incessamment ses échecs, sa lâcheté, son infériorité, la somme de ce qu'il n'a pas su rendre à ceux qui lui ont tant donné.

Mais un événement tragique est bientôt à l'origine de bouleversements qui viennent percuter cette existence mortifère. A l'occasion d'une longue hospitalisation, il se lie presque malgré lui d'amitié avec une infirmière sexy et peu farouche et un voisin de chambre bavard et fanfaron. Il focalise par ailleurs bien involontairement l'attention haineuse de ses concitoyens lorsqu'il refuse, pour des raisons strictement sentimentales, de vendre ses terres subitement devenues constructibles au consortium à la tête du projet immobilier censé apporter le renouveau au village.

C'est une bien triste histoire que celle de Johnsey Cunliffe. Parce qu'il est simple mais pas dupe, qu'il a retenu les leçons de son lucide de père et que son propre silence ne l'empêche pas d'entendre les rumeurs viles et effrayantes émises par ses semblables, il sait le mépris ou la pitié qu'il suscite, et ne se laisse pas berner par la hypocrites tentatives de séduction de ceux qui l'approchent par intérêt. Une lucidité qui le rend d'autant plus malheureux…

Et c'est encore un bien beau titre que nous propose là Donal Ryan, qui évoque le destin de son héros dans une langue simple et précise mais toujours éloquente, sa plume se mettant à l'écoute des sensations, des pensées de son héros, traduisant en mots toute la détresse mais aussi, en définitive, toute la complexité de cet être extrêmement sensible qu'est Johnsey Cunliffe, dont l'irréductible fidélité aux siens ainsi qu'à ce qu'ils lui ont transmis et le total désintérêt pour toute valeur matérialiste nous ramènent à ce que l'on a sans doute un peu perdu…

"Puisque Dieu l'a abandonné, qu'est-ce qui l'empêche de passer dans l'autre camp ? Peut-être que le diable lui apportera davantage de succès".
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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