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Critique de Pasoa


Pasoa
04 février 2023
Né en 1890, poète et romancier, grande figure du courant moderniste portugais, ami proche de Fernando Pessoa avec qui il entretint jusque dans ses derniers jours une riche correspondance, jeune dandy épris d'idéal et d'absolu, Mário de Sá-Carneiro est un auteur assez peu connu en France.

Dans ce très beau recueil en version bilingue qui regroupe l'ensemble de ses poèmes écrits entre 1913 et 1916 s'impose une obsession, celle du double, celle de l'autre, tout à la fois menaçant et désirable, dans laquelle se propage une vision mystique du corps, celui de la femme sublimée pour mieux être refusé ou celui de l'homme, secrètement désiré.

Dans une sorte d'errance, de désespoir que porte en lui l'être trop chargé de son moi mais aussi d'un vide existentiel, l'écriture de Mário de Sá Carneiro suscite le trouble, parfois le malaise. L'autoportrait qu'il fait de lui n'est pas sans renvoyer à l'homme d'aujourd'hui, englué dans une virtualité de sa conscience toujours plus envahissante, qui le confronte toujours plus à lui-même.

« Je me suis perdu en moi
Parce que j'étais labyrinthe,
Et aujourd'hui, de moi,
Je ne sens plus que les nostalgies.
J'ai traversé ma vie,
Astre fou qui rêvait.
Dans la fièvre du dépassement,
Je n'ai pris garde à ma vie...
C'est toujours hier pour moi,
Je suis sans aujourd'hui ni lendemain :
Le temps qui déserte les autres,
Devenant hier, s'abat sur moi » *

Dans les dernières années de sa vie, de Lisbonne à Barcelone, Mario de Sá-Carneiro voyage beaucoup, mais c'est à Paris qu'il aime se retrouver. Il s'installe dans une chambre d'hôtel située Rue Victor Massé dans le 9ème arrondissement. Durant cette période, il écrira ce qui dans son oeuvre paraît le plus personnel et le plus profond. Sá-Carneiro va seul dans les rues, sur les bords de Seine, dans des cafés,... Il s'imprègne d'instants glanés qui, s'ils inspirent toute son écriture, ne cessent pourtant de le renvoyer à sa solitude, à cet incontournable malaise existentiel qui est le sien.

« Je ne suis ni moi ni l'autre
Je suis quelque chose d'intermédiaire :
Pilier du pont d'ennui
Qui va de moi à l'Autre. » **

Sincère et belle, ultime, au fil des pages l'écriture de Sá-Carneiro et tout entière nimbée du sentiment d'inadéquation à la vie, d'incomplétude permanente et, surtout, de conscience douloureuse de l'irrémédiable clivage de soi. Une tension dramatique entre un soi, vil et prosaïque, et un autre, son double idéal.
Un jour d'avril 1916, dans sa chambre d'hôtel de la rue Victor Massé, le jeune écrivain portugais décida de se donner la mort. Il avait 26 ans.


(*) extrait de "Dispersion" (Paris, mai 2013) - p.49
(**) "7" (Lisbonne, février 1914) - p. 97
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