De la même manière qu’il se comporte en amour, instinctif et irréfléchi, dans le feu de l’action le roi peut oublier toute prudence et se ruer dans la bataille sans souci du danger et risquer sa vie. C’est d’ailleurs ainsi qu’il galvanise ses troupes. Mais quand il s’agit de conduire la guerre, il sait agir en stratège, analyser avec lucidité les données et concevoir des plans. Aujourd’hui, il n’ignore pas qu’il se trouve en mauvaise posture. Tout roi de France qu’il est, d’ailleurs jugé illégitime par une partie importante de ses sujets, il a moins d’argent dans ses coffres qu’un marchand prospère de Paris ou de Rouen. Voilà pourquoi il n’a pas de quoi payer des troupes en nombre suffisant, il ne dispose que de 6 000 hommes dont il n’est même pas certain de pouvoir assurer la solde. La reine d’Angleterre, Elisabeth, a promis de lui envoyer des renforts et de l’argent, mais il reste sans nouvelles et se demande si elle tiendra sa promesse.
On suspectait les protestants d’avoir préparé un complot contre le roi, de rassembler en cachette une armée pour voler au secours des Hollandais révoltés contre les Espagnols. Ces accusations se propagèrent, entretenues par des prêtres enflammés et des gens aux desseins obscurs. Attisée par des prêches déchaînés et des appels à la violence, la haine contre les « hérétiques » commença à monter dans la population.
Rien d’étonnant à cela, quand on met fin à ses jours on n’éprouve pas toujours le besoin d’en donner la raison : déprime, maladie, « burn-out » ou chagrin d’amour. Vu l’âge du défunt, cette dernière éventualité semblait peu vraisemblable, on pouvait aussi écarter le stress dû au surmenage pour un individu à la retraite, parmi toutes les explications possibles, seul le suicide restait en lice. Pour les policiers présents ce jour-là, peu importait le motif, la thèse du suicide ne faisait pas de doute.
Aucune femme, à moins qu’elle ne soit de ménage, n’avait fréquenté cet endroit depuis longtemps, c’était un antre de célibataire chronique ou de veuf endurci. On apprit par la suite que l’entretien et le nettoyage étaient confiés à une entreprise prestataire de services. Dans le séjour les chaises s’alignaient autour de la table, sur laquelle ne trônait qu’un journal plié avec soin.
L’encre avait pâli mais le texte restait déchiffrable. Il le parcourut, retenant son souffle avec de plus en plus de peine au fur et à mesure qu’il en reconnaissait l’auteur. En arrivant à la signature et en découvrant le monogramme qui y était dessiné, il n’eut plus de doute. Une émotion intense l’envahit, qu’il avait bien du mal à dissimuler.