AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Kirzy
17 septembre 2022
°°° Rentrée littéraire 2022 # 18 °°°

Dans un prologue très drôle empli d'autodérision, Monica Sabolo raconte comment elle a commandé une buse empaillée à queue tordue sur Ebay avant d'écouter un épisode d'Affaires sensibles à la recherche d'un sujet pour un prochain roman qu'elle voulait le plus éloigné d'elle, juste un fait divers, « quelque chose de facile et d'efficace » et qui se vendrait bien. Ce sera l'assassinat du P-DG de Renault, Georges Besse en 1986 par l'organisation terroriste d'ultra-gauche Action directe.

Monica Sabolo se lance dans une enquête très fouillée absolument passionnante à suivre sur les deux femmes du commando, condamnées en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron. Même si elle dresse un tableau complet de l'histoire d'Action directe qui a revendiqué plus de 80 attentats et assassinats en France de 1979 à 1987, ce qui intéresse l'autrice, c'est la personnalité de ces jeunes femmes aux allures anodines de gamines qui ont tué sans flancher au nom d'une idéologie. J'ai particulièrement apprécié que l'autrice n'invente rien ni ne cherche à romancer ni à proposer une analyse historico-politique, seulement guidée par une compréhension intuitive de l'intime et de l'humain.

Et puis le récit qu'elle voulait écrire fait une grosse sortie de route et se transforme en une double enquête, celle sur les membres d'Action directe et celle sur ses origines. le passé remonte à la surface « à la façon d'un cadavre gonflé d'eau ». Pendant une bonne moitié du livre, on ne comprend pas vraiment pourquoi elle veut à tout prix tisser des liens entre la vie clandestine choisie par les membres d'Action directe et sa vie clandestine à elle, à qui on a caché l'identité de son géniteur, elle qui a été abusée par son père officiel. Mais elle reste sur cette déstabilisante ligne, les enquêtes gigognes continuent à s'entremêler.

Dans le dernier tiers, il y a quelque chose qui se passe lorsque Monica Sabolo rencontre longuement les survivants d'Action directe. Hellyette Besse, amie de Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, qui tient la librairie anarchiste parisienne le Jargon libre, puis Claude Halfen, membre d'un commando, et surtout Nathalie Ménigon, libérée en 2008. La démarche de l'autrice s'éclaire enfin.

En fait, La Vie clandestine est un récit sur la mémoire. Monica Sabolo ne se cache plus derrière une atmosphère onirique et éthérée comme dans ses précédents romans. Ici, tout est clair, explicite, sans fard. Et c'est très touchant de lire avec quelle délicatesse et sincérité elle se livre pour évoquer le mécanique de dissociation qui s'est mis à l'oeuvre en elle pour surmonter l'inceste, tout comme il s'est mis à l'oeuvre auprès des ex-membres d'Action directe qui continuent à vivre en ayant tué. Comme son père, ils ne regrettent rien.

Dans cette quête intime, Monica Sabolo se laisse porter par les voix de ceux qu'elle rencontre pour s'échapper loin de la violence et toucher à la possibilité de pardonner. Je referme ce livre totalement convaincue alors que j'ai passé au moins la moitié de ma lecture dans le brouillard.

Commenter  J’apprécie          14110



Ont apprécié cette critique (126)voir plus




{* *}