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Critique de davidomi


« Martine chez les curés » ou  « Sade est-il encore scandaleux aujourd'hui ? »

La vertu n'est que comédie.
D'abord le roman  « Les infortunes de la vertu » : ne vous attendez pas à une suite de scènes immorales (vous seriez déçus) c'est avant tout un roman tout ce qu'il y a de plus classique, avec une histoire qui suit son fil, une héroïne certes exagérément naïve (Sade s'amuse à surcharger le trait d'une fille qui ne se raccroche qu'à sa vertu, sous le double regard de la société et surtout d'une « justice céleste « ) jusqu'à un dénouement oh combien ! Théâtral ; Sade ne va rien lui épargner : après être passée entre les mains de sadiques en tous genres, mais toujours vierge d'un point de vue animal, elle débarque au milieu du roman dans un couvent dissimulé derrière d'immenses murailles. Fatalement, comme un enfant qui entre en orphelinat, un prisonnier en prison, un vieux ou un fou dans un asile (bref tout huis clos qui permet la mise en oeuvre des fantasmes les plus inavouables) elle y devient le jouet de la perversion d'hommes omnipuissants.

A propos de cette « vertu » si mal définie
C'est sans doute ce qu'il y a de plus vieilli dans ce roman, cette chimérique vertu défendue bec et ongle, à cette époque encore imprégnée (badigeonnée) de religion (aujourd'hui on parlerait « d'orgueil »)
Ce n'est pas juste le mot « vertu » qui a perdu sa vitalité, sa  contemporanéité , c'est le sens même de cette vertu qui a disparu. Il en reste tout au plus une image ridicule dans les vieux romans ou peintures, façon Virginie (Paul et Virginie) qui refuse d'enlever sa robe dans la tempête, ce qui lui aurait permis de sauter à la mer et rejoindre à la nage la côte toute proche… La vertu est un mot disparu, ou plutôt le monde où la vertu avait un sens a disparu.
Et il faut l'avouer (le confesser) cette oie blanche exagérément naïve, qui en prend plein la tête, ça a quelque chose de drôle, comme toute exagération ; on en vient secrètement à espérer que la misérable « apprenne la vie »...
C'est drôle aussi par ce que les mots se parent de la même pudibonderie que la malheureuse quand il s'agit d'être précis dans les pratiques sexuelles. Par exemple, « Raphaël (…) se satisfait outrageusement, sans me faire cesser d'être vierge », tout ça pour dire qu'elle se fait enculer. Et tout de suite après pour un deuxième assaillant « (…) l'endroit où son hommage va s'offrir laissera de même ma vertu sans péril. Il me fait mettre à genoux, et se collant à moi dans cette posture, ses perfides passions s'exercent dans un lieu qui m'interdit pendant le sacrifice le pouvoir de me plaindre (…)» Personne ne me fera croire que Sade ne s'amuse pas ici à dire cette femme qui ne peut plus parler parce que la bouche pleine…
(A noter que pour « l'héroïne », sa vertu se limite ici à la fine membrane dans son vagin)

Mais même à l'époque de ces écrits, est-ce ces quelques scènes de torture et de sexe qui ont choqué ? A une époque proche où, en guise de cinéma, on allait sur la place publique voir un écartèlement ? Ou quand il s'en prend à cette obscénité parmi les obscénités qu'est la religion (même si son final voudrait dire toute la dévotion d' un livre bon chrétien, très certainement que Sade pensait ainsi s'éviter quelques foudres non divines, mais sans se rallier une seconde à cette fin couillonne) Cette époque n'était-elle pas déjà en partie nettoyée de cette crasse religieuse ?
Ou encore quand il choisit finalement des « hommes de dieu » pour prendre à son héroïne cette vertu jusqu'alors si difficilement défendue, dont l'un d'eux est parent du pape ! Aujourd'hui pour chercher pareils provoc', il faudrait se rendre au Kremlin pour traiter Poutine de couille molle.

Alors, est-ce plutôt les discours politique que l'on trouve dans le roman, comme celui par exemple de la Dubois à la jeune naïve « Sophie » qui ont suscité tant de réactions hostiles ? Dire par exemple qu'il ne peut y avoir de sens à la vertu sans justice (sociale), quel scandale ! Que dans une société inégalitaire, le vol, le meurtre, rien n'est immorale, quelle provocation !
« Cette classe qui nous méprise à pour elle toutes les faveurs de la fortune ».
Mais personne en vérité, pas plus hier qu'aujourd'hui, ne découvre ici que toute société humaine est basée sur l'inégalité, que sans inégalité il ne peut y avoir société. L'auteur fait dire à un de ses personnages à qui il donne un caractère exagéré dans le cynisme, que le riche a droit de tuer le faible, le pauvre, c'est une loi de la nature. Est-ce les délires d'un seul « hors norme » ou la réalité observée de la civilisation ?
L'obscénité, c'est la société humaine (les hommes de pouvoirs, de religion, tout un chacun)
Tu m'étonne que Sade ait passé la moitié de sa vie en prison avec pareil discours socialiste avant l'heure !
Ou alors, autre discours difficile à entendre certainement, montrer qu'en ces époques où le jeune homme de bonne famille n'avait pour choix que le Rouge ou le Noir, le choix de la femme non marié lui était encore plus circonscrit  (autour de sa culotte)
En fait, ce n'est rien de tout ce que je viens d'énumérer qui fait scandale, mais le fait qu'il le dise : des humains éprouvent du plaisir à en torturer d'autres : la belle affaire ! Personne ne découvre rien, mais cela ne se dit pas, cela ne peut se dire.
A la lecture de nos jours, on se dit juste que Sade est un habile observateur. C'est parce qu'il tend un miroir à l'humanité qu'il paraît scandaleux, profanateur à son époque. C'est ce miroir qui a pu rendre insupportable ses écrits. Il n'y a rien d'immorale chez Sade, pas plus que chez un journaliste à notre époque qui filme la guerre.

Mais resterait-il ici alors quelque chose de scandaleux pour notre époque ? quelques rares scènes de sexe ? L'immoralité de certains (un fils veut tuer sa mère ?) ? le goût pour la torture  (des religieux séquestrent et supplicient un groupe de femmes ?) ? le pouvoir qui permet tout…
Bon, premièrement pour ce qui est du sexe, on trouve à présent bien pire dans tout bon roman pour mémère.
Pour ce qui est de l'immoralité, la torture… La belle affaire ! Il n'y a qu'à allumer la télé pour trouver plus pervers : une assistante pas très maternelle fait boire du Destop à un bébé qui a eu le malheur de pleurer, une maman jette sa fillette nue dans une baignoire bouillante, un papa éventre et tue sa petite fille de un an en la pénétrant, un homme séquestre dans sa cave une enfant durant des années… Notre époque n'a rien à envier au XVIIIe siècle ni même au Moyen-Age. C'est juste que le spectacle qui jadis se regardait avec gourmandise sur la place publique à présent se déroule en premier lieu au sein plus pudique de la famille. La torture est devenue avant tout une histoire de famille, et plus accessoirement tout autre huis-clos institutionnel (à la seule différence là, c'est que c'est l'État qui régale, qui offre les proies) Sade n'est qu'un petit joueur face à la constance de la réalité de l'humanité, des papas qui chaque soirs font preuve de bien plus de créativité que dans les pires passages de ce roman. Depuis ses écrits, bien du sang a coulé sous les ponts et dans la culture sous toutes ses formes.
Par exemple, pour ce qui est du côté perversité, le règlement sadique basé sur la dénonciation dans le monastère ressemble furieusement au règlement dans « l'école en bateau », célèbre cas ou des enfants durant un an étaient livrés corps et âmes, sur un bateau qui parcourait le monde, à une équipe de pédophiles expérimentés (« emprise psychologique pour assouvir des pulsions sexuelles » selon la cour lors du rendu du procès)
Quand aux idées politiques du roman sur la réalité de nos sociétés plus que malades, qui à part un petit enfant croit encore en des « égalité », « fraternité » et autres contes de fées pour attardés ?

Alors ? Qu'est-ce qui pourrait choquer un public aujourd'hui  chez Sade ? Bin, rien...
En nous affligeant de cette fin d'une morale obligée affligeante (la malheureuse, enfin débarrassée de son infortune, se lamente et meurt tué par Vous Savez Qui (l'un des deux dont on ne peut prononcer le nom, et, petit indice, ce n'est pas l'adversaire de Harry Potter) d'un coup d'éclair dans le coeur ! ) Sade condamne son roman à la désuétude.
L'immoralité qui gagne à la fin (on y a presque eu droit, après tout c'est le discours tout au long du roman), des méchants non puni, le cynisme qui triomphe ... voilà qui aurait donné ici une oeuvre entière, intemporelle, à minima au dessus de la quasi totalité de la production actuelle. Mais déjà à l'époque les écrivains n'étaient pas foutus d'aller au bout de leurs idées…
A moins de voir ici un point de vue caché, conspirateur (chez l'auteur ou le lecteur fêlé?) L'immoralité est sauve, puisque finalement, celui qui gagne à la fin, c'est dieu (oops ; j'ai dit son nom!) exemple divin d'injustice, de narcissisme et de haine. L'immoralité est alors sauve.
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