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Critique de Marc129


“C'est maintenant, ami lecteur, qu'il faut disposer ton coeur et ton esprit au récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le monde existe, le pareil livre ne se rencontrant ni chez les anciens ni chez les modernes. »
Cela ressemble à une excuse très bon marché (comme lire Playboy pour les interviews), mais j'ai lu ceci principalement par intérêt historique (et d'accord, peut-être un peu de curiosité aussi). Je vais juste le dire clairement : c'est dégoûtant, mais vraiment dégoûtant, extrêmement dégoûtant, d'une manière que vous pouvez à peine imaginer. Et ce ne sont pas seulement les escapades sexuelles inimaginables que décrit De Sade, mais surtout la violence toujours croissante et la manière écoeurante avec laquelle d'autres personnes (surtout les femmes et les enfants) sont dégradées au rang de simples objets.

Pour être honnête : j'ai principalement lu la préparation du livre et la plupart des histoires du premier cycle (la première des 4), et même alors, petit à petit, j'ai commencé à lire en diagonale, en sautant les pires passages. Au début, je n'en avais pas le courage (certaines scènes donnent vraiment la nausée), et puis au bout d'un moment, les interminables descriptions des excès commençaient vraiment à devenir lassantes. Cela aussi dit quelque chose. de plus, selon De Sade, ce premier cycle ne contient qu'une description des « passions simples ». À partir des aperçus schématiques des trois cycles suivants (qu'il n'a pas écrit, Dieu merci), on peut conclure qu'après ce premier cycle « simple », il ne fait qu'aller crescendo dans d'horribles tortures, jusqu'aux mutilations les plus bestiales et même des meurtres.

Curieusement, tout cela est présenté par De Sade comme une sorte d'expérience scientifique. L'essentiel du livre est que 4 amis (des hommes riches et puissants) s'isolent dans un château suisse, avec une trentaine de victimes, et se livrent pendant 4 mois à une série interminable d'actes sexuels et violents, et ce faisant, méticuleusement enregistrant et partageant toutes leurs émotions et expériences. Régulièrement, ils débattent, par exemple, de ce qui procure le plus grand plaisir (l'acte ou le désir) et de ses implications morales (ou plutôt de son absence), presque comme dans un dialogue platonicien.

Donc, même au milieu de ces excès, on peut parfois trouver des choses intéressantes, je veux dire sur le plan philosophique (imaginez !). Par exemple, ils concluent que leur bonheur vient du fait que les autres (leurs victimes) ne peuvent pas jouir de ce qu'ils peuvent, en d'autres termes : l'inégalité et la domination sont des biens fondamentaux. Ou que le bien et le mal sont complètement arbitraires, et que donc tout est permis. Les attaques féroces contre l'Église et contre la religion en général sont frappantes, mais pas inattendues : seule la Nature (avec un majuscule) compte, car, en rendant possibles les actes les plus terribles, rien (et certainement pas Dieu) ne s'oppose à leur réalisation. D'est pourquoi tout mal est justifié. C'est à celle « philosophie naturelle » libertine à laquelle De Sade revient sans cesse.

L'un des points qui m'intéressait était de savoir dans quelle mesure De Sade peut être considéré comme un représentant des Lumières du XVIIIe siècle, une question épineuse. D'accord, il faisait partie de la noblesse, et donc profondément enraciné dans « l'Ancien Régime », mais d'autres philosophes des Lumières l'étaient aussi. Et d'accord, son attention n'était certainement pas sur la raison supérieure, mais au contraire sur le côté obscur de l'espèce humaine. Mais quand-même, son approche dégage la vision rationaliste-mécaniste si typique des « philosophes » français de cette période. Il suffit de regarder avec quelle minutie les quatre « maîtres » accomplissent leurs actes brutaux, dans un ordre systématique et prémédité, et en rendent compte et en discutent. D'une certaine manière, on peut sûrement dire que De Sade expose le côté obscur du rationalisme éclairé, menant finalement à l'Holocauste (je ne dis rien de nouveau ici).

Naturellement, on se demande : mais quelle était la motivation personnelle de de Sade pour écrire tout cela, et surtout pourquoi d'une manière aussi explicite ? Je sais : des bibliothèques ont déjà écrit à ce sujet. Et les points de vue vont de « De Sade avait juste un esprit malade et perverté » à « il voulait fournir un aperçu de la fosse bouillonnante et puante qui se cache à l'intérieur de chacun de nous, mais que nous gardons habituellement cachée ». Je suppose que tous ces points de vue sont valables. J'ai ainsi définitivement compris pourquoi la figure de de Sade et ses écrits continuent de fasciner, même après plus de deux siècles. Mais si vous voulez mon conseil (totalement sans attaches) : faites attention, si vous voulez lire ceci, sachez dans quoi vous vous embarquez.

Annexe : J'ai maintenant aussi lu ‘Justine ou Les Malheurs de la vertu' (la version retravaillée de 1797), et je dois dire que c'est à un niveau littéraire bien supérieur (ok, ça a l'air très "je lis Playboy pour les interviews"), il est moins explicite, et contient un peu moins de violence, même s'il reste très grossier et particulièrement désobligeant envers l'espèce féminine. Mais surtout il contient beaucoup plus de passages philosophes sur les aspects (im)moraux du comportement libertin, et en ce sens il est bien plus intéressant.
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