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Critique de berni_29


Bonjour tristesse est une histoire d'apparence simple. Cinq personnages vont se côtoyer durant un été dans une villa de Saint-Tropez, s'en échappant parfois entre la plage voisine et les boîtes de nuit des environs.
C'est un roman qui associe tout d'abord le mot tristesse à celui de plaisir.
La narratrice s'appelle Cécile, elle a dix-sept ans. Elle est aussi charmante que cynique.
Son père est ce qu'on appelle vulgairement un homme à femmes, qui séduit aussi facilement qu'il rompt avec ses conquêtes, mot que j'exècre, c'est bien le terme qui convient pourtant ici. Une très grande complicité unit le père et la fille. A priori ils ont choisi tous deux de vivre dans une sorte de cocon de légèreté, où chacun tient sa place sans poser de contrainte ni de reproche à l'autre. Tout ceci nous est d'ailleurs révélé par la narratrice.
On pourrait parler d'insouciance à la lecture des premières pages. L'insouciance de l'été, son ennui, la plage, là où les jours coulent comme une poignée de sable d'une main nonchalante. Ce sable qui fuit comme le temps qui passe, qui dévore tout, les âmes sensibles comme les plus retorses...
Mais la jeune Cécile sous ses airs délurés et frivoles entend contrôler par sa volonté ce père séducteur, elle fait en sorte qu'il ne s'attache jamais à aucune de ces femmes afin de ne jamais perdre l'ascendant qu'elle exerce sur lui. On pourrait même évoquer qu'elle est prête à le manipuler. Vous l'admettrez, Cécile est très possessive, c'est le moins que l'on puisse dire.
Mais comme Cécile est aussi la narratrice et que l'écriture est fluide et élégante, nous découvrons le récit par l'envers de son seul regard subjectif et nous nous laissons prendre au jeu subtil que construit celle-ci, nous entraînant pas à pas dans son histoire.
Elle veut viscéralement protéger, sacraliser le temps encore fragile de sa relation avec son père et elle sait que ce temps est compté, que c'est peut-être le dernier été, que l'édifice qui tient la relation entre son père et elle est menacé, comme un château de sable par l'assaut des vagues sur une plage...
Avec la jeune maîtresse du moment qui partage ce temps estival, Elsa, futile et mondaine, la narratrice n'est pas trop inquiète, elle sait par avance que cette amourette ne durera que le temps d'un été.
Mais les choses se compliquent lorsque surgit brusquement dans la villa une ancienne amie de sa mère, Anne, nettement moins stupide que les autres et du même âge que son père.
Anne est aimable, rayonnante, intelligente, et son père commence à la regarder avec admiration et désir. La jeune Cécile voit immédiatement le danger, elle va tout faire pour inverser le cours inéluctable des choses. Elle va alors mettre sur pied un véritable plan d'attaque pour écarter la nouvelle venue...
Et c'est là que le roman va prendre une nouvelle tournure...
J'y ai tout d'abord vu un roman d'une maîtrise stupéfiante.
Si le décor est bien planté, c'est aussi celui d'un style qui fait mouche, d'une élégance cruelle et indomptable.
Françoise Sagan a dix-sept ans lorsqu'elle écrit ce premier roman, le même âge que Cécile la narratrice qui nous confie ce récit. Cette dernière ne connaît rien à l'amour, ou si peu, des baisers, des rendez-vous, la lassitude, des histoires qu'on raconte dans les magazines photos de l'époque, nous sommes dans les années cinquante. C'est à peu près le niveau de relation qu'elle a avec ce jeune garçon Cyrille à l'entrée de l'été.
La narratrice forge son éducation sentimentale, et s'en inspire, à l'aune de sa relation avec son père qu'elle admire, qu'elle adule, qu'elle protège, elle construit son modèle en amour sur la figure d'un père aimé et volage.
Alors, la cruauté est peut-être la seule source d'inspiration qui vient à Cécile pour s'inventer une vie, la seule manière pour celle-ci de faire éclater sa créativité dans une vie ennuyeuse, qu'elle souhaitait d'ailleurs être réglée comme un encéphalogramme plat. C'est ce surgissement d'un événement nouveau qui va la faire sortir de cette torpeur estivale et démontrer qu'elle est capable d'un imaginaire débridé et sans limite.
Cécile découvre sa cruauté et l'éprouve sans véritable méchanceté.
Et c'est aussi là qu'est la prouesse de ce roman que j'ai beaucoup aimé, autant dans le style que dans la nasse qui prend les personnages, telle une toile d'araignée d'où surgit le texte.
Dans une écriture d'une paresse apparente, elle réussit un roman incroyablement fort, rendant la tristesse élégante.
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