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Critique de cedratier


« Rue de la Justice » Danièle Sallenave (Gallimard 350p)
La photo des obsèques de Victor Hugo, mort en 1885, trônera pendant des années sur la cheminée de Laurence, née en 1863. C'est sur ce fil infime que Danièle Sallenave part à la quête de ce que furent la vie quotidienne, les espoirs en plus de justice sociale, les difficultés et les rêves de son arrière-grand-mère, laveuse sur un bateau lavoir, qui passera sa vie rude dans un village des bords de Loire. L'auteure ne sait quasiment rien de cette ancêtre qu'elle n'a pas connue, hors quelques rares échos venus de sa propre grand-mère… et le souvenir poignant de ce cliché mémorable. Qu'importe, Danièle Sallenave nous fait découvrir, par cercles concentriques, par un travail documentaire particulièrement riche et touffu ce que purent être son quotidien, ses habitudes, ses idées, ses croyances, son éducation, son travail.
L'auteure se situe irréductiblement du côté des humbles, des « impropriétaires », de ceux qui font vivre une société et se font ravir le fruit de leur travail par les nantis qui s'en gavent. Elle fait un lien pertinent avec les révoltes actuelles (revenant parfois sur ce qu'elle a déjà écrit dans son « tract Gallimard », « Jojo le gilet jaune »). Pour elle, la IIIème République, par ses combats contre le poids enfermant de la religion catholique, des réactionnaires de tout poil et (plus timidement me semble-t-il) des propriétaires et des grands fortunés a fait renaître les espoirs de « La Sociale », la République des non-nantis.
Elle dénonce l'obscurantisme clérical, l'inégalité sociale organisée, elle souligne les succès de l'école primaire de cette période. Elle valorise les progrès techniques incontestables (chemin de fer, routes, électricité, commerce, médecine), qui désenclavent les campagnes, soulagent d'une part de misère et ouvrent à de nouveaux horizons. Elle dénonce l'absurdité criminelle du colonialisme et du racisme qui en est l'une des émanations, en en montrant les dégâts croissants dans le monde d'aujourd'hui. Elle pointe sans retenue l'actuelle dégradation des services publics nés en partie durant cette période.
Plus qu'un livre strictement historique, c'est un très beau récit d'histoire. Sans forcément partager dans le détail toutes ses analyses (par exemple sur le progrès technique qu'elle ne lie pas forcément à la quête de profits), ce qui est passionnant dans cet ouvrage, outre l'écriture ciselée mais très accessible de l'académicienne, c'est son parti-pris de justice sociale qui ne s'en laisse pas conter par le matraquage d'une idéologie de "premier de cordée", par les ghettos sociaux et culturels dans lesquels on veut nous enfermer. Certains y trouveront peut-être un goût de « c'était mieux avant », mais je crois que la lucidité et le sérieux du travail documentaire de Danièle Sallenave lui permettent d'éviter ces écueils. Elle travaille, en toute fidélité et reconnaissance ses propres racines (et les miennes) avec les gens d'en bas, et c'est particulièrement captivant.
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