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Critique de cedratier


« BW » ; Lydie Salvayre (Seuil, 200p)
QUEL BONHEUR ! L'écoute récente de l'émission de France Inter « le Grand atelier » de Vincent Josse m'a appelé de toute urgence à reprendre le fil de mes lectures de l'une des invitées, Lydie Salvayre. Il faut entendre cette voix grave et réservée qui surprend, (« timide ? » demande surpris le journaliste, mais oui, ce qu'elle confirme dans ce livre) une voix et une parole qui sont une belle invitation à la lire surtout. Et j'ai commandé séance tenante quatre parmi ses bouquins que je n'avais pas encore lus (sur « Recyclivre », occasions à même pas demi-prix, livraison gratuite à partir de 10 euros…, quand on a l'habitude de corner, gribouiller les textes qu'on aime…) S'en suit donc une belle pagaille dans l'ordre de ma PAL, tant mieux.
En 2008, BW, le compagnon de LS, qui est en train de perdre la vue, subit plusieurs opérations des yeux. Temps suspendu avant que, malgré ces difficultés la vie ne reprenne son cours, durant lequel LS va recueillir pour nous sa parole, les épisodes les plus marquants de sa vie, de ses engagements surtout. Passionné de littérature, il a été le créateur des éditions « Verticales », qu'il finira par quitter par refus de se laisser enfermer dans les compromissions mercantiles d'un monde éditorial plus assoiffé de succès financiers et de prestige élitaire que de véritables découvertes, un monde livré aux querelles et aux petits jeux de pouvoir — et d'ailleurs, quand on feuillette le site des dites éditions, pas un mot sur le fondateur (ce genre d'ambiance de la vie éditoriale en général est développé et plus fouillé, de la place de LS, dans son tout récent « Irréfutable Essai de successologie »). BW, dont elle ne déploie jamais le nom, est un sanguin, un indompté, un idéaliste qui ne renonce pas, un engagé enragé non enfermé, un jusqu'auboutiste, un jouisseur, un découvreur, un homme qui paie de son corps par l'entrainement sportif, par sa capacité d'arrachement aussi ; un homme capable de se séparer donc, de partir, ce qui est tout le contraire du manque de courage ; bref un homme chargé de désir, de vie. D'où sa passion pour l'édition, où il pourra défendre becs et ongles les textes auquel il croit, tout ce qui n'est pas de la littérature tiède ou du plus petit dénominateur commun. Il est aussi voyageur, découvreur du monde, des gens, des langues et des paysages dont il nous livre, sous la plume alerte de sa compagne, quelques échos. Il constate avec amertume que depuis des décennies, le monde s'est refermé, cloisonné, barricadé derrière des frontières sanglantes et infranchissables, verrouillées par des communautarismes nationaux et religieux rétrogrades et criminels. Il rencontre la guerre et ses horreurs, au Liban en particulier, ce qui le marquera définitivement, la réalité des faits dont il est témoin bousculant chez certains de ses amis des présupposés bien-pensants. « BW », c'est donc d'abord un très beau portrait, d'une personne très touchante dans ses sensibilités et ses générosités.
C'est aussi un magnifique texte d'amour, si l'amour c'est l'amitié habillée du désir, d'un couple qui s'est rencontré en 1985, beau chemin partagé et belle qualité de relation qui traverse le temps. Roman d'amour aux deux bouts de la plume.
Dans la forme, le texte est une transcription de dialogues, ce qui lui donne une spontanéité (bien sûr reconstruite), une note vivante ; DW parle, LS l'interpelle, parfois conteste (entre parenthèses), le lecteur est dans une position de témoin complice de leurs échanges.
Comme à chaque lecture des textes de Lydie Salvayre, c'est d'emblée sa liberté radicale dans l'écriture qui accroche et fait du bien, loin des carcans de l'académisme convenu, ne crachant pas sur le vocabulaire canaille, s'autorisant ici ou là un « salvayrisme » bien senti (« DW et moi nous imbécilisons ») ou une construction baroque.
Et de belles tournures de phrases, que ce soit dans la bouche de BW ou dans celle de LS, parfois des aphorismes ou des sentences tellement pertinentes :
« Devant moi, il rassemble aujourd'hui les ossements disséminés de son périple. »
« Partir pour expier ! Nous y voilà ! Les grandes interprétations psychologiques si émerveillées d'elles-mêmes. »
« Voyager, c'est apprendre la déception. »
« Marcher fatigue sa tristesse. »
« Sa douleur à s'écorcher aux barbelés du monde. »
C'est parfois bouleversant, et si une sorte de pessimisme lucide imprègne ces pages, affleure aussi un parfum de saine révolte qui vit, et c'est par ailleurs souvent très drôle.
C'est beau, très touchant, c'est superbement écrit, c'est BW, et c'est Lydie Salvayre.
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