Travailler moins pour lire plus, puisque la lecture s'acoquine merveilleusement à la paresse, puisque les bons et vrais lecteurs sont très souvent, sinon toujours, de fieffés paresseux.
Travailler moins pour lire immodérément, insatiablement, jouissivement, certains diraient dangereusement, voir la pauvre Bovary citée par Salvayre pour faire genre.
(page 66)
Que s’est-il passé pour que les choses s’inversent au point que, de nos jours, les seuls paradis désignés comme tels soient les paradis fiscaux ?
Vous nous vendez sans cesse le bonheur d’exister en consommant et consommant et consommant et consommant à perte de vie. Mais comment, Messieurs, concevez-vous le bonheur ? Comment ?
Vous êtes-vous demandé un seul jour : que fous-je de ma vie ? Qui ai-je vraiment aimé ? Par quoi fus-je comblé ? Qu’ai-je trouvé de beau et d’admirable dans ce cirque sauvage qu’est devenu le monde et qui me permette de l’endurer ? La mer ? L’enfance ? Cette étrangère à tout calcul qui s’appelle l’amitié ? L’imprudence insouciante ? Le pouvoir de dire non aux idées préconçues comme aux agenouillements ?
Désormais, le travail ne nous définira plus. Hors de question !
Et à la demande banale : que faites-vous dans la vie ? (sous-entendu quel est votre job ? histoire de vous situer infailliblement sur l'échelle sociale et de réagir en conséquences), nous répondrons joyeusement : mille choses dont certaines d'une inutilité totale ! et aucune qui nous tient en laisse !
– Savez-vous pourquoi j’ai démissionné de mon boulot chez Heineken ? demande Arthur.
– Parce qu’il y avait trop de pression ! répond Ahmed.
Travailler moins pour lire plus, puisque la lecture s'acoquine merveilleusement à la paresse, puisque les bons et vrais lecteurs sont très souvent, sinon toujours, de fieffés paresseux. Travailler moins pour lire immodérément, insatiablement, jouissivement, certains diraient vicieusement, certains diraient dangereusement, voir la pauvre Bovary citée par Salvayre pour faire genre. p. 66
La paresse est un art subtil, discret et bienfaisant. (Page 15)
Depuis toujours nous rêvons de revivre le bonheur de ces journées d'enfance où une fièvre providentielle nous forçait à garder le lit.
Bonheur d'échapper au contrôle de math ou au cours détesté de gymnastique.
Bonheur de ressentir la fraîcheur de la main maternelle se poser sur nos fronts, puis remonter nos draps d'un geste aussi caressant qu'un baiser. Bonheur surtout de découvrir les plaisirs de la lecture, le dos calé sur de mols oreillers, parfaitement indifférents à tout le reste, et happés, emportés, fascinés par l'histoire du marin Yann Gaos racontée par Loti dans son roman Pêcheur d'Islande. Yann Gaos qui s'absentait de longs mois loin de sa bien-aimée pour s'en aller pêcher, et devenait bientôt, dans un grand souffle marin, notre porte-drapeau, notre héros, notre idole, notre prince prolétaire, notre âme soeur. Nous-mêmes. Enflammés d'amour. Assoiffés d'absolu. Avides de sublime. Enivrés d'infini - la peur du ridicule par l'emploi de grands mots ne nous atteindra que plus tard.
Nous aimons que nos pensées vagabondent, se hasardent, divaguent, se posent sur un fil - nos pensées sont des hirondelles - et s'envolent vers on ne sait quel ciel.
La paresse, nous l'affirmons, est le berceau de la pensée.