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Critique de evelynemorin


Je suis une fervente lectrice de l'écrivaine Jasna Samic depuis très longtemps. J'ai lu presque tous ses livres en bosnien, et je viens de terminer son quatrième roman publié en français, après avoir lu: Portrait de Balthazar, le givre et la cendre, Les contrées des âmes errantes, de même que son beau recueil de poésie « Dans le lit d'un rêve », tous publiés chez son éditeur, MEO de Bruxelles.
Chambre avec vue sur l'océan, qui vient de paraître chez MEO, traduit cette fois-ci par l'auteur et Gérard Adam, est un ouvrage conçu comme une trilogie, ou plus précisément, comme une composition musicale en trois mouvements. Je le vois personnellement comme un livre consacré entièrement à la souffrance, à la douleur, à l'impuissance et à la révolte, ainsi qu'à la mort et à la guerre, car tout cela est omniprésent dans ce roman, comme cela a été présent dans ce pays situé au coeur-même de l'Europe. C'est là que la barbarie a de nouveau triomphé à la fin du XXème siècle, malgré le fameux ‘Plus jamais ça'! Or c'est de la Bosnie qu'il s'agit, ainsi que de Sarajevo, ville natale de l'auteure et la capitale meurtrie de son pays d'origine. Toutefois, c'est aussi un roman d'amour, de passion, d'amitié, de résilience... Présenté aussi comme un ouvrage anti-lyrique, antiromantique et antipoétique, je me permets d'ajouter que c'est aussi un roman plein d'esprit et très drôle.
La scène du roman s'ouvre, dans sa première partie, sur un décor luxueux d'une station balnéaire mondaine au Sud de la France, où le personnage principal, Mira passe ses vacances grâce à l'hospitalité d'un ami, et où elle voudrait oublier la tragédie dans laquelle sombre son pays et une grande partie de sa famille, restée dans la Sarajevo, assiégée par les extrémistes serbes. Mira et son mari ne sont pas des réfugiés, ils sont arrivés à Paris avant la guerre, tous deux musiciens aux carrières brisées à cause de la guerre. Son mari colle des affiches pour une association de musiciens, pour survivre. Obsédée par ses problèmes existentiels, Mira fait des rencontres qui lui semblent prometteuses, mais qui rarement aboutissent aux fins fructueuses. Certaines personnes sont très ennuyeuses, et irrite non seulement notre héroïne mais aussi nous lecteurs.
La guerre en Bosnie fait rage. Mira est à la fois très touchée par la tragédie de sa ville et de la maladie de sa tante, de même qu'abasourdie et énervée par le comportement parfois très grotesque, pour ne pas dire indécent, de ses ex-compatriotes dont certains sont ambitieux, hautains, ou même voleurs. le chagrin l'envahit au point qu'elle donne à peine ses cours de piano. Elle est constamment entre la réalité et le rêve.
Elle voudrait fuir tout. Mais où ? Sur ces pensées s'achèvera au demeurant la première partie du livre: « Fuir ? … Dans le rêve, dis-tu ? Mais les portes du rêve sont closes. Il n'y a plus de place. Rien que l'infini étendue d'azur. La paix céleste parsemée de fleurs bleues. Au loin. Par la fenêtre. »
La deuxième partie, intitulée « La Maison de Satan », nous transporte en Bosnie du début du siècle et nous fait voyager jusqu'aux années 90, quand la guerre des Balkans éclate et Mira se retrouve avec son mari et son fils à Paris. Nous y découvrons la saga familiale de Mira, à travers son enfance, sa jeunesse, ses études, ses ami(e)s, ses amours, et son coup de foudre pour un pianiste cubain, dont Mira est si éprise et inspire tant la narratrice que le lecteur aussi se délecte de ces pages, avec le désir qu'ils ne se terminent jamais.
Préoccupée par la réalité de son pays, Mira s'interrogeait souvent sur Dieu en tant que phénomène humain, ce Dieu Unique au nom duquel tout le monde s'entretue.
Elle-même trouve le diable plus intéressent et complexe que le Créateur. La rencontre avec Satan lui semble presque tangible au moment où la guerre éclate, et sa tante tombe malade, alors qu'elle est maintenant loin d'eux, en tant que musicienne à succès et boursière du gouvernement français.
Une fois l'accord de paix de Dayton signé, les routes vers sa ville s'ouvrirent, mais il était trop tard pour certaines rencontres. « J'en ai assez de la vie d'errance, une vie temporaire, je m'ennuie d'être loin de moi-même, loin des miens », se dira-t-elle en pensant à la lettre de Stephan Zweig avant son suicide.
La troisième partie du livre, « A l'Ombre de la porte de l'Enfer », est pourtant la plus sombre, la plus douloureuse, la plus dramatique, et aussi la plus poétique, surtout au début de cette partie. Arrivée à Sarajevo, confuse, Mira observe sa ville « transformée en cimetière vivant ». Elle ne voit que les morts, persuadée qu'il est impossible d'écrire sur la tristesse, On ne peut écrire qu'un poème. Ou composer un requiem. Où qu'elle pose son regard, c'est la désolation. Maintenant que les obus se sont tus, c'est le chaos qui y règne. Elle est devenue une étrangère dans sa propre ville. Pas de justice dans cette ville martyre. Et la vérité dans tout cela ? Il n'y a pas de vérité non plus. Mira est contrainte d'accepter des accusations de ses compatriotes de ne jamais comprendre ce qu'est une guerre, car elle ne l'a pas vécue personnellement.

J'espère que ce livre beau et fort réveillera la curiosité chez tous ceux qui aiment découvrir des différentes cultures, coutumes et religions, car justement, le roman parle de ces différences - cette source de richesse, qui est aussi, hélas, une cause constante de division et de guerres.
Sadzida
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