AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JBLM


JBLM
25 février 2023
Un roman très intéressant qui se déroule durant la période pré-révolutionnaire, dans la campagne berrichonne.

L'histoire est rapportée par le personnage principal, Bernard, à un narrateur inconnu, à qui il fait le récit tumultueux de son amour pour Edmée, dans des proportions telles qu'il n'est pas évident de comprendre l'intérêt de cet emboîtement, puisque Bernard, le personnage, aurait presque pu assumer de bout en bout la narration. Insistant sur la rupture fondamentale de la Révolution, y compris sur le plan esthétique, le roman reprend de nombreux traits de l'écriture et des thèmes du XVIIIème siècle, quoique l'auteur soit du XIXème. Beaucoup de pleurniche, donc, beaucoup de génuflexions intempestives devant la femme aimée, beaucoup de décisions suicidaires, beaucoup de subjonctif, beaucoup de formules annonciatrices du malheur à venir, etc... Mais surtout, une élégance de style imitant de façon très convaincante les auteurs du Grand Siècle, même dans la bouche des personnages censés incarner des brutes épaisses.

Roman d'apprentissage pour Bernard, sorte de fauve orgueilleux sauvé in extremis par la philosophie de Rousseau, Mauprat constitue une réflexion poussée sur l'éducation, sanctionnée par une morale qui se distingue toutefois des leçons du maître. Il ne faut pas croire que tout fonctionne comme sur des roulettes dans la rédemption de Bernard : il passe d'un extrême à l'autre, conserve un caractère violent qui montre que ses démons sont toujours là. Mais l'oeuvre est profondément optimiste au sens où elle défend l'hypothèse de la perfectibilité de l'homme, quel que soit son niveau de sauvagerie (et Bernard en est initialement un sacré spécimen). Il y a donc une grande satisfaction à suivre l'évolution tantôt poussive, tantôt prodigieuse de Bernard sous l'influence salutaire d'Edmée et de ses amis.

D'ailleurs, il y a là une idée qui infuse tout le récit, certainement hardie pour l'époque, selon laquelle la femme n'est pas inférieure ni même égale à l'homme, mais supérieure, et que c'est donc à lui de se hausser à son niveau (par l'éducation et les moeurs) pour l'obtenir. le pauvre Bernard passe tout le récit au bord de la crise de nerfs en ne voyant pas ses efforts récompensés, faute d'entendre le refus d'Edmée de céder à plus médiocre qu'elle ne mérite. Alors je calme tout de suite les féministes 2.0 : l'auteur, à travers la rivalité entre Bernard et M. de la Marche, aristocrate "bien comme il faut" mais à la rusticité douteuse, pour le coeur d'Edmée, défend la nécessité pour la femme de disposer "d'un homme et non pas d'un brin de muguet", qui sache accomplir les travaux pénibles (à l'époque, pousser la charrue et tuer le gibier) et entretienne force de corps et de coeur, d'autant plus à l'approche des périodes de crise que le bon sens paysan, incarné par le personnage extraordinaire de Patience, voit pointer à l'horizon. Pas question "d'accepter la faiblesse", "d'assumer sa part de féminité" ou toute autre expression de fragiles déconstruits : l'homme doit être un roc qui prodigue sécurité et stabilité à la femme, c'est son rôle d'homme. Simplement, cela ne l'exempte pas de tendre vers la noblesse morale, comme l'exige Edmée de la part de Bernard.

Je passe rapidement sur le message politique, qui prend sa source dans les affrontements du XIXème siècle. C'est une glorification de l'action révolutionnaire, inspirée des Lumières, contre un ordre inique où le clergé tient le plus mauvais rôle. L'abbé Aubert, seul ecclésiastique positif du livre, est en réalité totalement acquis aux idées de Rousseau, au point d'être à peu près en marge de l'Église. Tout le dernier tiers du livre, occupé par le procès, illustre les conflits d'intérêt et l'incitation à la délation occasionnés par ce système féodalisant en fin de vie, dans un cadre choisi qui est celui de la justice. L'évocation appuyée de la guerre d'indépendance américaine, riche de nombreux traits historiques, annonce de façon peut-être un peu manichéenne les profonds bouleversements qui vont bientôt agiter la France pour y mettre un terme, sur lesquels Bernard, âgé, pose un regard a posteriori un peu moins crédule.

Je n'ai pas parlé des nombreuses descriptions de la nature, attendues chez cette écrivain attachée à sa terre natale, toujours d'une extrême sensibilité. Elles contribuent à faciliter une lecture bien cadencée entre action, analyse et longs dialogues, sans jamais tomber dans la trivialité à laquelle plusieurs passages se prêtent pourtant. Les personnages sont vraiment très attachants, sauf Edmée, à dessein ; je retiens surtout Marcasse, sorte de don Quichotte taiseux assez transparent jusqu'à la phase américaine, mais qui se révèle mémorable par la suite.

Une excellente découverte que je recommande vivement aux amateurs de romans historiques, et au-delà.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}