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Critique de Aquilon62


En 2006, on lui a dit qu'il vivrait sous protection pendant quelques semaines, mais depuis ce jour, la vie de Roberto Saviano a changé pour toujours.
Et elle se résume en quelques chiffres :

15 comme le nombre d'années qui se sont se sont écoulées,
5475 comme le nombre de jours sous protection policière
144 comme le nombre de pages pour résumer cette vie sans réelle vie
2 comme les idées maîtresses dans cet ouvrage : l'idée de blessure et le pouvoir des mots.

Saviano a bien précisé lors de ces présentations en Italie ce n'est pas seulement d'une autobiographie qu'il s'agit, mais aussi et surtout d'une histoire de souffrance, de résistance, de manque de liberté personnelle, d'injustice. "Je voulais dire au lecteur : regarde-moi pour te regarder, si nous partageons les mêmes blessures". Mais cette histoire, l'histoire d'un homme qui vit sous protection policière depuis quinze ans à cause de ses écrits, est aussi la preuve du pouvoir des mots et du savoir.

Avec simplicité et désenchantement, à travers de courts chapitres d'une intensité lucide et hallucinante, Roberto Saviano scénarise pour la première fois une BD et confie les dessins à Asaf Hanuka pour raconter l'un des aspects les plus difficiles de son existence : la protection constante qui permet rester en vie. Se déroulant comme un dialogue entre l'écrivain et le dessinateur, le livre raconte avec franchise une facette inédite du journaliste et écrivain, nous livrant son oeuvre la plus personnelle à ce jour.

Ce roman graphique commence par une petite préface , où Saviano distingue deux types d'histoires :
"Avec le temps, j'ai appris qu'il existe deux sortes d'histoires : celles qui se terminent par la mort du personnage principal et celles qui se terminent par sa victoire.
L'histoire que vous allez lire ne s'achève ni sur sa mort ni sur sa victoire, car tout se déroule sur un territoire à mi-chemin entre ces deux dimensions. Ce que je raconte, c'est une vie de résistance, avec les mots pour seules armes et avec le corps, une lutte menée en sachant qu'à la fin, comme dans toute bataille, on rentrera chez soi vivant ou on ne rentrera pas. Et que, si on rentre, on sera blessé.
Comment on supportera cette blessure, si elle s'infectera, si on parviendra à la soigner, quel mal elle fera, c'est là l'histoire d'une vie."

Sa condition est celle de blessé, pas entièrement vaincu et jamais victorieux. La blessure est un état universel. Tout le monde est poussé vers le bas par les événements de la vie, mais continue ensuite d'aller plus loin, blessé.
La façon dont chacun gère ses propres blessures définit la personne qu'il est ;
La façon dont il les traite, dont il les guérit définit le genre de vie qu'il mènera.
La blessure devient une fente à travers lequel vous pouvez jeter un coup d'oeil dans le passé d'une personne. En italien, le mot pour "blessure" est "ferita" et "fente" est "feritoia", assonance aussi étonnante que révélatrice .
Ce roman graphique, est la représentation de sa blessure.

Pourquoi un roman graphique et pas un livre comme il en a l'habitude :
Il l'avouera lui même cela aurait été trop douloureux, trop confus. 
Saviano fait une distinction entre les bandes dessinées et les livres.
En effet le livre demande au lecteur d'imaginer tout ce qu'il trouve sur la page écrite. Chacun imaginera quelque chose de différent dans son esprit.
La bande dessinée, en revanche, transmet exactement ce que l'auteur voulait dire. Ce faisant, les illustrations deviennent fondamentales, et c'est pour Cele qu'il les a confiées à l'illustrateur israélien Asaf Hanuka. Son style combine un trait très réaliste avec la capacité de créer des illustrations fortement métaphoriques et saisissantes.

L'une des forces de la bande dessinée est qu'un case, une planche contient beaucoup d'éléments qui frappent le lecteur en même temps. Ce faisant, ils peuvent transmettre des significations puissantes sans avoir à trop expliquer.
La couverture française c'est Saviano, juché sur le canon d'un pistolet attendant l'hypothétique tir.
Pour avoir lu la version italienne, en janvier à Rome, elle montre Saviano à demi immergé dans l'eau qui est en fait faite de ses larmes.
J'avoue avoir une préférence pour la couverture italienne comme si cette mer de larmes étaient qu'il n'a jamais voulu laisser échapper.
De son propre aveu : "Pleurer est un talent, les anciens héros grecs avaient l'habitude de pleurer. Je ne le fais pas pour des raisons stupides comme paraître viril ou autre, mais parce que je sais que ce n'est pas encore le bon moment. de plus, j'ai l'impression que si je commençais, je ne pourrais pas m'arrêter », a avoué Saviano.

Tout au long de la bande dessinée, Hanuka dépeint Saviano se métamorphosant en Minotaure ou en armure dorée , selon les émotions qu'ils voulaient décrire.
Et puis il y a les choix de couleurs comme un écho à sa propre vie
Vert, blanc, rouge quand il évoque une vie normale ;
Une teinte soleil quand il parle des souvenirs avec son grand père ;
Le bleu de l'air, du ciel quand il s'exile, l'exilé est celui qui a tout perdu, mais sans le bénéfice de la mort ;
L'or pour son armure ;
Le rouge omniprésent comme le le sang, la colère, la passion ;
Et bien entendu le noir.....
La couleur ou plutôt les couleurs reprennent leurs droits à de/deux très rares moments.

Cet ouvrage est une collection d'épisodes, chacun explorant un désir, une peur, un espoir différent. Ces épisodes qui font de Roberto Saviano un homme toujours vivant. L'art, et les mots qu'il utilise, sont aussi des outils capables de changer les choses, de remodeler la réalité.
Ils créent un lien entre l'artiste et le public, créant une sorte de communauté. Communauté que j'ai rejoins dès la sortie de Gomorra, et que je ne suis pas prêt de quitter....
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