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Critique de fulmar


« Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume »

Ces vers de Baudelaire ont peut-être inspiré Dorothy Sayers, cette autrice de romans policiers du début du vingtième siècle. Ecouter l'envolée d'un angélus ou d'un glas une soirée d'hiver, après s'être tapé la cloche le soir du réveillon, rien de tel pour ranimer des sentiments qui résonnent en nous.
A moins que ce soit cette citation de Victor Hugo dans L'homme qui rit :

« Un glas de cloche ressemble à un râle d'homme. Annonce d'agonie ».

La sonne-rie qui engendre des pleurs, voilà une dissonance mortuaire à vous perforer les tympans. Et ne plus pouvoir écouter sa raison qui suggère une solution à l'énigme.
A moins que le titre annonce : rien de neuf, la vérité est ailleurs.
Car, que comprendre dans la comparaison des cloches à des tailleurs ?

Ce petit roman noir à la couverture jaune d'or se reposait tranquillement à côté de ses collègues de la collection du Masque sur un minuscule rayon consacré à la littérature policière dans une boutique sortie d'un autre âge, celui de son époque, les années cinquante, lorsqu'il a été publié en langue française.
Une devanture démodée au charme désuet, surmontée de l'inscription « Librairie-Papeterie », à quelques pas de la librairie actuelle, qui rutile dans la rue utile, celle des commerces aguichants de la semaine de Noël.
Cette boutique à l'ancienne ne brille pas de mille feus, mais son attrait vient de la multitude de produits qui composent ses étalages, de tous âges, une véritable braderie dans un condensé de quelques mètres carrés, ou plutôt un labyrinthe inextricable d'où l'on ne s'extrait qu'avec des objets uniques, car désormais introuvables ailleurs, des cadeaux insolites qui ne figurent pas au catalogue des grands magasins aux produits identiques et calibrés, qui ne font plus rêver.
Celui-ci m'a attiré au premier regard, la couleur, le titre, et la première page qui indiquait :

« Il était plus de quatre heures de l'après-midi, le 31 décembre, et les flocons, très drus, n'avaient pas cessé de tomber toute la journée ».

Ce livre sera le cadeau de dernière minute des étrennes, celui qu'on offre à l'être aimé qui saura apprécier, le bouquin sans égal qui régale à toute « fin » utile.
Ironie du sort, je l'ai lu alors que les flocons tombaient, en ce début janvier, car bien sûr, il était déjà disponible, lu en quelques heures par l'heureuse élue qui me le prêta sans aucun reproche, je ne me fis pas sonner les cloches.
Le bon moment, un temps similaire, le froid mordant, y'a d'la brume bas dans l'air, l'ambiance s'y prête à merveille, plus qu'à entrer dans l'univers de madame Sayers.
C'est une personnalité hors du commun, qui apprend le latin à 7 ans, le français auprès de sa gouvernante et devient l'une des premières femmes diplômées de la prestigieuse université d'Oxford. Son parcours ne l'est pas moins : après avoir découvert et apprécié la série des romans d'Arsène Lupin (écrit par Maurice Leblanc) en France, elle retourne en Angleterre pour devenir rédactrice dans une agence de publicité de Londres.
Ses apports au polar sont nombreux comme son influence sur le genre pendant trois décennies (des années 1920 à sa mort en 1957), et ne se limitent pas à son héros d'aristocrate dilettante, Lord Peter Winley : ton humoristique qui n'hésite pas à se moquer des conventions du polar, critique de la société corsetée de son époque, vie sentimentale de son héros (rare pour les premières figures du polar).
C'est l'une des premières à remettre en question le prédominant roman policier sous forme de « whodunit » (lecteur et narrateur cherchant le coupable au cours de la narration), à peindre de manière réaliste les tensions sociales et s'attacher au « comment » plutôt qu'au « qui » et au « pourquoi », ouvrant le polar au champ des possibles. En principe, le lecteur doit disposer des mêmes indices que l'enquêteur et donc des mêmes chances que lui de résoudre l'énigme, l'intérêt principal de ce genre de romans étant de pouvoir y parvenir avant le héros de l'histoire.

Les Neuf Tailleurs, publié en 1934, a été décrit comme sa plus belle réalisation littéraire. En 1996, la British Crime Writers' Association a décerné à l'histoire un prix Rusty Dagger pour le meilleur roman policier des années 1930, un prix conçu et organisé pour l'Association par l'écrivain noir, Russell James.
Écrivant dans le New York Times à propos de la première publication du livre, Isaac Anderson a déclaré: « Il se peut que vous, comme ce critique, ne connaissiez pas la différence entre un kent triple bob majeur et un grand-père triple, mais même ainsi, vous apprécierez probablement ce que Dorothy Sayers a à dire à leur sujet et à propos d'autres choses concernées par l'art ancien de la sonnerie du changement, puisque sa thèse est tissée dans un conte mystérieux des plus fascinants.... C'est, avec la plus grande insistance, Dorothy Sayers à son meilleur ».
A l'époque, elle était davantage connue qu'une certaine… Agatha Christie, un bien bel éloge.

Lord Peter a un accident de voiture qui l'arrête le soir du jour de l'an dans une petite ville anglaise. Accueilli par le pasteur et sa femme, il se joint à la bande de carillonneurs (compensant le défaut d'un membre malade de l'association) qui, ce soir, décide de battre un record en sonnant toute la nuit les fameuses cloches de l'église.
Les neuf tailleurs, ce sont ces fameuses cloches. le mystère commence quelques mois plus tard quand, dans une tombe fraîchement creusée, on trouve un cadavre qui ne devrait pas y être. Lord Peter va revenir dans le coin, y passer quelques jours et faire émerger une histoire de vol de bijoux ayant eu lieu vingt ans auparavant. L'histoire est complexe, les pierres précieuses (celui qui « les aime rôde » dans le secteur), un retour en arrière sur la première guerre mondiale, des personnages attachants, et la méthode de mise à mort assez étonnante, voire détonante.
Beaucoup de dialogues entre les différents protagonistes, enquêteurs et habitants du lieu, des petites touches de récit pour éclairer l'intrigue, c'est vivant et bien ficelé, sans temps mort, ce n'est pas comme dans l'histoire, où le cadavre ne suscite pas d'assassin à sa hauteur, bien qu'en haut du clocher…

Je me suis régalé d'un scenario original qui délivre une chute sonnante et trébuchante.
Quand sonne l'heure, il y a plus d'un sonneur en pantalon qu'a l'son long.
Et dans l'église, il y a toujours quelque chose qui cloche.












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