La désarroi causé par al situation de chômage se révèle par la vision apocalyptique de l'avenir et de la société.
C'est de l'expérience d'une profession que les individus tirent l'estime de soi.
Le chômeur a le sentiment que la société en général et ses amis se détournent de lui, que sa présence crée une gène et provoque, la crainte de ses interlocuteurs de se voir demander une forme d'aide.
Le non-travail continue à n'être que l'envers, le négatif du travail.
Résumons ces analyses consacrées au chômage total. Ennui, désocialisation, humiliation réactivée par les démarches du pointage et les échecs successifs dans la recherche d'un emploi, peur de l'avenir, sont liés à la désorganisation des rythmes collectifs réglés en fonction des nécessités de l'activité professionnelle, à la difficulté de trouver une référence à un statut de substitution, à l'incapacité, pour ceux qui ne sont pas des militants syndicaux, de comprendre leur condition, à une intégration sociale et familiale parfois faible.
On n'a pas le temps de s'embêter en ce moment avec toutes les démarches qu'il y a à faire et la bagarre à mener (...) On se bagarre pour la reprise, pour que ça remonte, il faut faire la démonstration que l'entreprise peut repartir. Alors on garde le contact avec la clientèle (...). Oui je n'ai pas honte, parce que je ne me sens absolument pas responsable de ma situation personnelle. Les responsables, c'est le gouvernement et le CNPF (patronat). Je considère qu'on me porte atteinte, puisqu'on me prive de travailler. Dans la Constitution, celle de 1958, il y a le droit de travail pour tous, alors c'est pas vrai. Moi je ne suis pas responsable. Je n'ai pas à avoir honte. Pas du tout.
Homme, 50 ans, marié, un enfant, ancien ouvrier devenu chef de service, Angoulême.
Le chômage est la gangrène du siècle finissant.
Je m'en rends compte maintenant, pendant les six mois que j'ai travaillé, je n'ai pas vécu, ce n'est pas une vie ça quand on rentre et qu'on n'a même plus envie de faire les choses qu'on aime. Le pire c'est que c'est débilitant, on ne pense plus, le vide, on devient idiot... Reprendre cela, je ne sais pas...
Femme, 24 ans, célibataire, employée de bureau, licence d'anglais, Paris.
L'intégration sociale créée par l'appartenance et la lutte syndicales, le combat mené pour le maintien de l'entreprise, qui constituent une substitution exaltante au travail professionnel, permettent, malgré l'inquiétude sur l'avenir, de ne pas vivre le chômage sur le mode le plus douloureux, puisque, d'une certaine façon, le combat politique mené au nom du droit au travail nie le chômage. Le militantisme politique se révèle ainsi un moyen privilégié pour ne pas connaître l'humiliation, l'ennui et la désocialisation, caractéristiques du chômage total.