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Critique de beatriceferon


En 1984, Colombe a dix-sept ans. Elle passe son bac dans un mois. Elle croque la vie à pleines dents. Elle a un amant. Elle n'est pas amoureuse, elle insiste, « pas un petit copain, pas un amoureux, pas un truc d'adolescente, un amant, un truc de femme. »
Elle a choisi Vincent parce qu'après avoir lu de nombreuses scènes érotiques, elle voulait les vivre, elle aussi.
Elle demande conseil à ses parents, des médecins très tolérants : « vous n'auriez pas un gynéco parmi vos copains ? » Celui qu'ils lui renseignent prend le temps de lui fournir des explications qu'elle écoute d'une oreille distraite. Elle repart avec une ordonnance de pilule. Mais les contraintes, quel ennui ! Au bout d'un certain temps, elle oublie ses bonnes résolutions. Et un jour, « je pleure parce que, j'en suis sûre, je suis enceinte. Et je suis seule. »
Colombe Schneck admire Annie Ernaux. C'est peut-être pour cela qu'elle s'est décidée à écrire ce livre après trente ans de silence. En 1964, Annie Ernaux vivait « l'Événement ». A cette époque, l'avortement était interdit. On n'en parlait pas. On se sentait absolument seule. Abandonnée. Désemparée. A la publication de son ouvrage, Annie Ernaux est vilipendée, insultée. Un journaliste lui assène : « Votre livre me donne la nausée. »
Pourtant, des femmes ont souffert et se sont battues pour obtenir ce droit.
Marie-Claire a dix-sept ans en 1971. Elle se retrouve enceinte suite à un viol. « L'avortement, cela voulait dire la prison pour les pauvres, l'Angleterre pour les riches. » Marie-Claire est pauvre. Elle est obligée de recourir à la clandestinité. Elle manque en mourir. Son violeur, un petit délinquant, « est arrêté pour vol de voiture. Pour être libéré, il dénonce la grossesse et l'avortement de Marie-Claire. » N'est-ce pas le monde à l'envers ? La jeune fille et plusieurs femmes de son entourage se retrouvent sur le banc des accusées. C'est Gisèle Halimi qui les défend. Elle les prévient : elles vont vivre l'enfer ! « C'est ce procès, son injustice, sa violence, qui va permettre le vote de la loi Veil deux ans après. »
Simone Veil a été en butte aux critiques les plus brutales. Quand la notion de détresse a été supprimée de la loi, « François Fillon s'est indigné, y voyant un risque de banalisation de l'avortement », comme s'il s'agissait d'une partie de plaisir.
Colombe Schneck s'insurge contre ceux qui, comme Marine le Pen, parlent « d'avortement de confort ».
Il n'y a pas si longtemps, des femmes ont été honnies, mises au banc de la société, emprisonnées. Certaines ont laissé leur vie entre les mains des « faiseuses d'anges » lors d'épouvantables interventions clandestines.
C'est pourquoi Colombe Schneck estime qu'il est nécessaire d'en parler « alors qu'en Europe les législations sur l'interruption volontaire de grossesse sont remises en cause, quand on continue de parler de banalisation de l'avortement, qu'on invente jusqu'à la notion d'avortement de confort, je dois raconter ce qu'a signifié et ce que signifie encore pour moi cet « événement ». Ni banal, ni confortable. »
Tout comme son modèle Annie Ernaux, Colombe Schneck évoque cette période de sa vie sans pathos, au contraire. Avec distance. Avec froideur. C'est clair, c'est net, c'est précis, c'est glaçant. C'est efficace. C'est une lecture marquante que je recommande.
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