Citations sur Franz Schubert (8)
Dès les premiers essais se remarque une souplesse du discours que nourrit un jaillissement constant du lyrisme: il apparaît bien, aussitôt, que l'esprit du lied imprègne chaque mesure, chaque thème: dans les structures, certes, mais plus encore dans les climats.
Dans toute sa musique, il garde de la retenue et de la pudeur. Il suggère sa souffrance plutôt qu'il ne l'étale, son sourire a toujours quelque chose de réticent. Schubert exprime l'ambiguïté essentielle de notre nature et de notre état sur la terre, et l'ambiguïté ne saurait se traduire par des cris, des éclats, des gestes tranchants, des affirmations catégoriques.
Franz Schubert a métamorphosé en musique un monde poétique. Il a mené le lied jusqu'à des sommets inexplorés à cette époque et il a montré ce qu'est tout art: intensification, concentration, pureté de la forme.
La syphilis, aujourd'hui bénigne, était incurable au siècle dernier: Schubert le savait, le pressentait du moins, car il sombra dans la neurasthénie.
Il voit sa santé détruite, sa vie gâchée, ses espérances de jeunesse anéanties. Quelque chose en lui se brise; cette mélancolie, ce sont de cristal fêlé que signaient toutes ces œuvres, deviennent cris de douleur, déchirement, tristesse sans rémission.
Ne pouvant atteindre la vraie vie, il se contente de la vie rêvée. Le théâtre lui offre cette double illusion, l'illusion comique jointe à l'illusion sentimentale. C'est un puissant aimant sur des natures à la fois avides et blessées comme celle de Schubert que la féérie de la scène. Tout y est faux et d'une certaine manière plus vrai que le vrai, puisque le vrai, pour toucher, a besoin d'être corrigé, dépouillé, transfiguré par l'art.
Schubert incarne, en effet, une des formes les plus respectables et des plus persuasives du romantisme. Le "mal du siècle" avait provoqué chez les artistes qui en furent atteints les réactions organiques les plus diverses: alors que Weber fut un méditatif pondéré, Schumann, un hypocondriaque et Berlioz, un épileptique, Schubert n'était atteint que d'une hypertrophie du cœur dont aucun signe extérieur ne pouvait révéler l'existence. C'était un timide, cordial et casanier dont l'exaltation intérieure possédait le miraculeux privilège d'arracher secrètement au prosaïsme de la vie des trésors insoupçonnés de poésie, une abeille qui, du suc des plus pauvres fleurs, savait tirer un miel délicieux. Et ce fut, en réalité, la manifestation la plus humaine et la plus durable de cet idéal artistique collectif engendré par une trop forte épidémie d'individualisme.
Vogl, dans son journal, signale ce qu'il appelle heureusement la seconde vue musicale de Schubert: "Jamais l'absence d'une bonne école de chant ne s'est fait aussi vivement sentir que devant les lieder de Schubert. Sinon, quel effet surprenant produiraient ces compositions vraiment divines, ces témoignages de seconde vue musicale, partout où l'allemand est compris! Combien d'êtres comprendraient, pour la première fois peut-être ce que signifient paroles, poésie en musique, mots en harmonie, pensées revêtues de musique?"
On ne saurait mieux définir le lieder.
Il travaillait avec une régularité merveilleuse, tous les matins, de six ou sept heures jusqu'à midi ou une heure. Quand il avait fini une composition, il en commençait aussitôt une autre. Ce détachement pour l’œuvre terminée, cette absence de complaisance pour ce qu'on vient de faire sont la marque d'un esprit toujours en travail, dont l'activité se ranime sans cesse par les créations successives auxquelles il prête vie et dont il se retire dès que le but est atteint. Cette apparente infidélité témoigne d'une fidélité supérieure, celle de l'artiste envers lui-même.