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Critique de Satyasaibaba


C'est un inédit que les éditions Albin Michel publient ici dans leur très beau catalogue « Les grandes traductions ».
Médecin, mais surtout grand auteur viennois né dans la seconde moitié du XIXe siècle (probablement l'un des dramaturges viennois les plus joués sur les scènes allemandes), Arthur Schnitzer n'a pas publié « Gloire tardive » de son vivant. Son ami Hermann Bahr, codirecteur de l'hebdomadaire « Die Zeit » était prêt à le faire dans son journal à condition que le texte soit quelque peu raccourci pour éviter une parution en épisodes qui aurait été « grandement dommageable et aurait privé l'oeuvre de toute efficacité ». Une option à laquelle Arthur Schnitzer ne voulut pas consentir. « Gloire tardive » resta donc jusqu'à aujourd'hui à l'état de tapuscrit dans le fond posthume de l'écrivain viennois mort en 1931.

Petit roman – à moins qu'on ne le considère comme une nouvelle – « Gloire tardive » nous fait entrer dans la vie d'Édouard Saxberger au moment où, rentrant de sa promenade quotidienne, il fait la connaissance du jeune écrivain Wolgang Meier. Saxberger a bientôt 70 ans. Il est seul au monde, n'ayant jamais été marié, n'ayant jamais eu d'enfant. Il partage ses journées entre un poste de fonctionnaire, des promenades en solitaire et un repas du soir partagé avec les habitués d'une même taverne enfumée et bruyante du centre de Vienne. Or voilà que cette vie de routine se trouve subitement déstabilisée par l'intrusion tout à fait inattendue d'un jeune poète désireux de rencontrer l'auteur du recueil de poèmes que lui et ses amis du cercle « Exaltation » admirent tant ! Pour le vieil homme, la surprise est totale. Certes autrefois il s'essaya à la poésie, publiant « Les promenades » et quelques autres poèmes dans des périodiques, mais jamais sans rencontrer le moindre succès, n'accédant jamais à la notoriété, à la moindre reconnaissance. La poésie, une futilité de jeunesse ? Saxberger en était arrivé à le penser. Il avait d'ailleurs depuis bien longtemps oublié qu'il avait été un jour, un poète.
Entraîné par Meier dans le café où lui et ses amis tiennent leur quartiers, le voilà encensé par un cercle de jeunes admirateurs qui très rapidement font de lui leur porte-drapeau, leur professeur, leur maître. Gagné par l'orgueil, il se délecte de devenir de jour en jour le centre autour duquel tout ce petit monde à la recherche lui aussi de la gloire, s'esclaffe, s'emporte et tente de refaire le monde à l'aune d'un talent encore bien tâtonnant. C'est comme s'il rajeunissait, si une nouvelle période de sa vie commençait. « L'allégresse de ces jeunes gens lui apparaissait comme l'accomplissement différé de maintes espérances dont il avait fiévreusement attendu la réalisation plusieurs décennies auparavant et qui s'étaient peu à peu diluées dans la grisaille de sa vie quotidienne. »
Tel Icare s'approchant trop près du soleil, Saxberger redescendra vite de son piédestal. le constat est amer et résonne en écho dans les magnifiques pages où Arthur Schnitzer décrit d'une manière très poétique la promenade au cours de laquelle le vieil homme espère raviver l'inspiration de jadis. Mais tout a changé. Lui comme les paysages. Et plus rien ne fonctionne. Et quand les masques tombent et quand la flèche d'une simple réflexion le transperce en plein coeur, la désillusion est totale.
Schnitzer, en double de Freud (c'est ce dernier qui le dit), nous donne ici à lire un opuscule d'une extraordinaire modernité où l'âme humaine se trouve sondée avec beaucoup de justesse et de finesse.
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