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Léonard Saxberger approche de ses soixante-dix ans. Il s'est installé, depuis 35 ans, dans une petite vie enveloppée d'une torpeur confortable, entre son bureau où il occupe un emploi de fonctionnaire, ses promenades et ses visites au café de « La Poire bleue » où il partage les parties de billard et les fêtes arrosées des habitués.

Cet homme tranquille a oublié les vers publiés dans sa jeunesse, réunis dans un recueil titré « Promenades ».
Quand, au retour de l'une de ses promenades, un visiteur l'attend chez lui, il tombe des nues, décontenancé face à l'enthousiasme de ce jeune poète admiratif qui fait partie d'un cercle d'artistes nommé « La jeune Vienne ». Il l'invite à se joindre à eux lors de leurs rencontres au café de l'Exaltation.

Le visiteur parti, Saxberger ne sait que croire : se moque-t-on de lui, est-il vraiment digne de cette admiration ?

Tout l'intérêt de cette nouvelle tient dans l'attachement que l'on éprouve pour cet homme vieillissant qui revit au contact de cette jeunesse qui l'accueille et lui permet de retrouver un peu la sienne. Tout en lui en redonnant l'image oubliée, cette rencontre suscite des questionnements qui se font jour dans l'esprit de Saxberger. Pourquoi lui ? Sont-ils sincères ? A-t-il vraiment du talent ? n'est-il pas ridicule ? Et le lecteur se pose les mêmes et se demande où ce regain de vie va-t-il le mener…

« Le vieux monsieur se sentait léger et de belle humeur. Il songea : Mais pourquoi tout cela aujourd'hui seulement ! Si tard ! Que n'ai-je fait cette rencontre il y a trente ans — ou vingt ans, ou même, il y a cinq ans ! Et là-dessus, une fois de plus, l'impression d'avoir retrouvé la fraîcheur de sa jeunesse s'imposa avec une force telle qu'il finit par se dire à lui-même : non, il n'est pas trop tard. » p 60

Le texte nous fait vivre toutes les hésitations, les doutes et aussi les agacements et les conflits inévitables entre son ancienne vie et celle qu'il croit avoir retrouvée au sein du cercle de « la jeune Vienne » qui le mène malgré lui à rêver d'une reconnaissance, voire d'un possible succès inattendu.
Le ton de Arthur Schnitzler est assez ironique et quelquefois sans indulgence, un mélange de dérision et de cruauté quand il dépeint les habitués des cafés que ce soit ceux du billard de la Poire bleue ou le milieu littéraire et journalistique du café de l'Exaltation.

Au final, un texte que j'ai pris plaisir à découvrir grâce à Babelio et aux éditions Albin Michel qui m'en ont permis la lecture avant parution.
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Je remercie Babelio et les éditions Albin Michel pour m'avoir permis de découvrir "Gloire Tardive" en avant-première grâce à l'opération Masse Critique.
Je connaissais déjà la plume de l'auteur, ayant lu "Mademoiselle Else", court roman qui m'avait fait forte impression, et ce surtout grâce à son héroïne à l'esprit brillant et au caractère vaniteux, qui a l'audace de se démarquer des autres héroïnes par ses défauts et son réalisme désespérant.

Il est difficile de croire que le vieux Edouard Saxberger, qui mène une petite vie bien rangée, bien tranquille et surtout bien ennuyeuse, eut la prétention dans sa jeunesse d'embrasser la carrière de poète, et même l'audace de publier un recueil, oublié et inconnu de tous, "Les Promenades", dont les rares exemplaires vendus traînent dans sa miteuse bibliothèque. Enfin, c'est ce qu'il pensait, jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance d'un groupe de jeunes artistes, qui semble sincèrement, bien qu'étrangement, l'aduler et lui vouer une admiration sans borne, à lui et à sa bien maigre oeuvre. Serait-il possible que ses écrits valent vraiment quelque chose, et que seule "La Jeune Vienne" talentueuse soit assez sensible pour le remarquer ? Est-il vraiment trop tard pour connaître le succès qu'il désirait tant - et qu'il désire toujours au fond de lui ?
Saxberger, considéré par tous les membres comme un visionnaire au talent injustement méconnu, est alors intégré dans le cercle "Exaltation" créé par ces jeunes artistes aux rêves grandioses, qui s'imaginent un destin prometteur et glorieux, ce qui fini par contaminer le pauvre bougre de ses espoirs, de ses rêves de reconnaissance et de gloire tardive... Mais la vieillesse a-t-elle vraiment le droit de se voir couronner de succès ? C'est ce que l'auteur nous propose de découvrir à travers ce court roman.
Malgré cette intrigue originale et ses réflexions intéressantes, j'admets avoir été un peu déçue par la chute, que j'attendais plus exceptionnelle et plus désespérante. Il n'empêche que j'ai apprécié cette oeuvre, j'ai d'ailleurs noté de nombreux points communs - tant dans le caractère cruellement passionné et psychologiquement tortueux des personnages et de l'histoire conté - avec les oeuvres de Stefan Zweig que j'admire tant: même si c'est court, ça reste intense et marquant.
De plus le style d'Arthur Schnitzler est impeccable, à la fois impitoyable et percutant.
Une belle découverte en somme !

"Aussi longtemps qu'on est jeune, on peut éventuellement donner forme à pas mal de choses... et plus tard... plus tard ça passe, on ne sait comment."
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Ce livre je l'ai reçu dans le cadre d'un partenariat particulier proposé par Babelio. Merci à eux et tout particulièrement Pierre Krause.

Je remercie également les Éditions Albin Michel.

J'ai reçu l'exemplaire des épreuves non corrigées, ce qui m'a surpris sur le coup. Mais outre la couverture avec ce bandeau "Épreuves non corrigées" et sans la photo de l'auteur prévue pour la version finale, le livre est de très belle facture : du beau papier très doux agréable au toucher, une agréable police de caractère.

Il y aura peut être quelques retouches mais je n'ai pas vu et lu des coquilles... En même temps je ne suis pas experte en orthographe...

Je ne connaissais pas cet auteur, même de nom je l'avoue, mais sa présentation m'a donnée envie de le découvrir par l'intermédiaire de ce partenariat particulier et à travers ce roman édité à titre posthume.


L'histoire de ce récit nous est relaté dans une postface de 13 pages. Celle-ci mets en lumière ce texte et nous fait comprendre que cette nouvelle est somme toute assez autobiographique.

Cette nouvelle rentre en résonance avec la vie d'Arthur Shnitzler et le milieu artistique de l'époque.

J'ai apprécié de voir le processus qui a conduit à ressortir des écrits de cet auteur. Une histoire à travers la grande histoire. La volonté de certains hommes et femmes à préserver des oeuvres d'art (littéraire ou autre) au péril de leur vie est pour moi quelque chose de vraiment admirable.

Cette nouvelle c'est l'histoire de ce vieux monsieur qui sort de son train train quotidien par l'attrait d'un jeune homme pour un recueil de poésies qu'il a écrit bien des années avant.

Le jeune homme lui vante les mérites de son recueil de poésie. Et oui il y a fort longtemps Monsieur Saxberger était poète... Meier le jeune artiste va alors l'entraîner et le faire rentrer dans un cercle d'artistes beaucoup plus jeunes en quête de notoriété et surtout de créations.

En quête de gloire ces soit disant artistes vont réveiller en ce vieux monsieur des envies de gloire tardive.

On plonge alors dans les pensées de ce vieux monsieur, qui aura envie de ressentir l'admiration de ses lecteurs et de profiter d'une gloire tardive.

Hélas le vieux monsieur est aussi solliciter par le cercle d'artistes pour créer à nouveau... Et s'est là, que la chute sera rude ...

Création et gloire sont deux choses si capricieuses... Elles ne se décrètent pas !

La prise de conscience sera bien dure et la chute inévitable.... (même si au fond ce n'est pas de bien haut que Saxberger tombera...)

L'écriture de Shnitzler me parait classique, reflétant une époque et un style de vie. Nette et sans bavures.

Si ce vieux poètes m'a intéressé, ce récit ne m'a pas trop touchée.... D'autres romans de l'auteur me plairait peut être davantage... Mais pour l'instant je vais m'en tenir là.

" Mieux vaut tard que jamais " dit-on
là, le "jamais" aurait peut être été plus doux pour cet homme
qui n'aurait pas quitter "la sourde et molle quiétude d'antan."
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J'ai beaucoup aimé ce court roman (ou cette longue nouvelle comme on préfèrera) qui nous fait réfléchir sur la célébrité et les raisons de la célébrité. Un vieil homme se retrouve au centre d'un club littéraire, encensé pour un livre de poésies publié il y a longtemps. Il mène une vie bien terne et cela va ensoleiller son existence. Il connait une gloire tardive, mais parviendra-t-il si longtemps après à trouver de nouveau de l'inspiration ? Et sur quoi repose véritablement cette admiration ?
le livre interroge les ressorts de la notoriété selon les codes en vigueur dans le Vienne de la Belle époque. Point d'influenceurs ici mais de la littérature comme vecteur et point de réseaux sociaux, mais bien au contraire les cafés, célèbres de Vienne.
On retrouve ici la cruauté de Schnitzler sans vouloir trop en dire et cette ambiance unique d'une ville si fascinante dans une traduction qui m'a semblé un peu désuète mais charmante et dans une édition de poche très plaisante, avec une intéressante postface.
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"La vie lui avait coulé entre les doigts". L'espoir de se démarquer de la grande masse des anonymes s'était évanoui. Il avait presque oublié avoir écrit un recueil de poèmes. La gloire, la traîtresse, était restée muette. Elle avait refusé de braquer sur lui les feux de la renommée. Il était donc resté tapi dans l'ombre de son emploi de fonctionnaire, docile et fidèle. Résigné.

Quelques décennies plus tard, de jeunes inconnus frappent à sa porte et témoignent d'un enthousiasme aussi surprenant qu'inattendu pour son unique recueil de poèmes, exhumé de l'oubli on ne sait trop par quel sortilège.

Confusion, interrogation, méfiance, rejet. La crainte de l'imposture le fait hésiter. Se rassurant au discours enflammé de ses interlocuteurs plutôt sympathiques, surement inoffensifs, une petite flamme se ravive en lui. Leur enthousiasme semble sincère, convaincant, communicatif. Il n'en faut pas plus pour que des souvenirs poussiéreux retrouvent une certaine fraîcheur.

Le fossé qui sépare les générations n'est que celui du temps qui passe, des événements qui s'accumulent. L'histoire se construit ainsi. Mais depuis que l'homme s'est auto promu en haut de l'échelle de l'espèce animale, ses aspirations sont restées les mêmes, transmises et répétées sans érosion de génération en génération : émerger du lot, se distinguer, susciter l'admiration de ses semblables. L'espoir de gloire ne vieillit pas, il ne quitte jamais vraiment le fond de son être. Il n'est jamais trop tard pour espérer. Tant pis si l'orgueil et la cupidité sont aussi de la fête.

Aussi, lorsque Saxberger, le poète en mal de succès, entrevoit une perspective de reconnaissance de son talent, il se prend à espérer, à son âge. Ses sens se raniment, l'émotion le gagne. La fréquentation d'un club littéraire de jeunes exaltés le stimule. le fossé entre générations se comble. On organise un spectacle littéraire. Les journalistes sont là. La gloire enfin ?

Sans la reconnaissance de ses congénères, la créativité de l'artiste s'essouffle et finit par s'éteindre. Ce sont les autres qui le font naître au monde. Saxberger retrouve un élan de jeunesse. Se peut-il qu'une oeuvre mûrisse d'elle-même et ne reçoivent pas le même accueil à quelques décennies d'écart ? L'inspiration sera-t-elle à nouveau au rendez-vous ?

Voilà un beau texte, bien sage, qui démentira la réputation licencieuse dont son auteur s'est vu affublé. Il est fait d'une écriture souple, précise, léchée, très agréable à lire. Il n'est certes pas destiné aux amateurs de lecture à sensation. C'est l'exploration d'un sentiment, une bouffée de jeunesse, comme le dernier mieux de celui qui va rendre l'âme.

Seul le corps vieillit. La sensibilité reste intacte, jusqu'au dernier souffle.

Merci à Babelio, aux éditions Albin Michel, de m'avoir fait découvrir cette oeuvre en avant première de sa parution.
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"Apprenez que dans la vie,
Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute"...
Cette leçon ne vaut qu'un faux mage sans doute...
(Cher de la Fontaine : pardon!)
S'attendre à la reconnaissance de ses travaux, si tard, n'était pas à son programme personnel. Edouard s'est accommodé de ce que l'âge apporte : l'arrêt de l'instinct d'appartenir, la mise en veilleuse du cerveau social dont le fonctionnement exige beaucoup de nous, au détriment de soi. Et la nostalgie qui nous fait confondre avec complaisance ce qui n'a pas pu être de ce qui aurait dû arriver. Et survient l'admirateur dont les intentions sont inconnues...
Lien : https://www.babelio.com/monp..
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Babelio m'a comblé en m'envoyant pour chronique l'inédit d'Arthur Schnitzler, Gloire tardive, avant même la sortie au 3 février chez Albin Michel. Court roman de 155 pages, ce livre est une belle relation de la vie viennoise, telle qu'elle me passionne depuis des décennies. L'histoire de l'Europe Centrale est riche en beaux écrivains et Schnitzler n'est pas le moindre. Cette longue nouvelle fait partie des écrits sauvés des rafles nazies en 1933, après la mort de l'auteur. Mais elle fut élaborée dans les années 1890. Schnitzler est alors un jeune auteur.
Edouard Saxberger est un modeste fonctionnaire déjà âgé. Comme beaucoup il a commis dans sa jeunesse un recueil de poèmes. Personne n'est parfait et ayant péché, je ne lui jetterai pas la pierre. Contacté par un groupe de jeunes poètes, évidemment chevelus et révolutionnaires, ou quand la révolte épouse le conformisme, vieux débat qui me hante et sur lequel je radote, le vieil homme d'abord surpris se prend au jeu. Flatté qu'on s'intéresse à Promenades, son antique opuscule de poésie, le voilà qui participe à ces soirées viennoises où se déclinent les derniers vers de ces jeunots aux dents longues. Mais les dents, on le sait, finissent souvent par s'ébrécher. le vieux poète asséché et les débutants ardents, ça pourrait être le titre d'une fable.

Albin Michel évoque l'Aschenbach de la mort à Venise. Pas vraiment car l'univers de Schnitzler n'est pas désespéré comme celui de Thomas Mann, restant d'une relative légèreté, nul choléra ne règne sur le Ring. Cependant se regarder dans la glace l'âge venant devient parfois agaçant. Et les rencontres avec une autre génération, parfois prometteuses, tournent souvent à la déception. Cette jeunesse qui vénère Saxberger, quel crédit lui apporter? Bientôt le fonctionnaire falot et usé ne retrouvera-t-il pas davantage de plaisir aux parties de billard avec ses pairs? L'histoire ne repasse les plats que faisandés semble nous dire le grand romancier de la Ronde, de Liebelei, de Mademoiselle Else. Ce n'est pas un hasard si j'ai pensé au Masque, premier volet du film de Max Ophuls le plaisir, où un homme mûr danse jusqu'à l'épuisement, le visage d'un jeune homme plaqué sur la face. Ophuls a justement adapté et La Ronde et Liebelei, et ce parfaitement.

Ce fut un grand plaisir de lecture dont je remercie Babelio. Et lire les épreuves non corrigées, ma foi, ne manque pas de charme.
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Quand Babelio m'a proposé ce livre, je n'ai pas hésité une seconde : même sans avoir jamais lu Schnitzler, j'ai réagi aussitôt (et très positivement) à ce nom. Voilà donc une grande plume que je ne connais pas et l'on m'invite à réparer cette lacune ? Allons-y ! le lieu, l'époque et le thème ont encore augmenté mon attrait. Vienne, fin du XIXème, ce n'est pas qu'un point sur un carte et quelques chiffres sur un calendrier : c'est un état d'esprit, un mode de vie, un creuset de réflexion et une certaine idée, désuète désormais, du raffinement ; ce qui peut pourtant cacher quelques sombres pensées ; car quels que soit l'endroit et l'époque, le coeur humain fonctionne toujours selon les mêmes règles.
Et le thème ? me direz-vous. Pour simplifier, je pourrais écrire que ce court roman parle de la littérature ; mais pas la façon dont on la fait ; plutôt la façon dont on la vit. Que l'on ait envie d'écrire, que l'on ait écrit il y a très longtemps ; que l'on s'acharne à tenter de mener à bien son tout premier ouvrage ou que l'on n'ait jamais été capable, depuis des décennies, de donner une suite à une première publication ; que l'on abandonne tout pour ne se consacrer qu'à ses muses ou que l'on enterre sa plume pour s'imposer de gagner sa vie raisonnablement, grâce à un "vrai" métier ; que l'on n'arrive pas à trouver son public ou qu'on l'ait perdu de vue depuis longtemps ; que l'on se gargarise d'un talent qui n'a pourtant encore jamais réussi à donner naissance à quoi que ce soit qui puisse en prouver la réalité ou que l'on se recroqueville sous une humilité excessive, paralysante... on est à dans chaque cas écrivain, non ?
En tout cas, c'est la question que pose Schnitzler. Qui nous fait écrivain ? Qui nous donne le droit de nous attribuer la citoyenneté de ce grand et beau pays qui s'appelle littérature ? Nous-mêmes, lorsque l'on s'assoit devant notre feuille blanche ? L'éditeur qui accepte de se pencher sur notre production ? Les premiers lecteurs qui s'émeuvent en nous lisant ? La foule qui vient ensuite, s'arrache nos romans, les fait grimper dans les palmarès, les installe sur des étagères de plus en plus nombreuses, dans les librairies, les bibliothèques, les supermarchés, les émissions télévisées ? Les générations à naître qui nous citeront dans les manuels, les dictionnaires et nous attribueront des lauriers que nous n'aurons jamais la chance de pouvoir admirer de nos propres yeux ?
Et finalement, à quoi ça sert, d'être écrivain ? A nous faire plaisir en grattouillant du papier (et notre nombril) ? A nous occuper parce qu'il pleut dehors et que la télé est en panne ? A gagner notre pain ? A nous offrir le plaisir d'un partage avec d'autres esprits, ceux des lecteurs, ceux de "confrères" ? A faire chavirer nos admiratrices (ou -teurs) ? A nous gonfler d'importance pour en remontrer aux autres, aux moins-que-rien qui seraient bien incapables de produire d'aussi belles lignes que les nôtres et qui nous méprisent tout autant qu'on les exècre (imbéciles qu'ils sont !) parce qu'il ne ne sont même pas en mesure de comprendre la valeur de notre inégalable prose ? Schnitzler nous les donne tous à voir, ces personnages : l'humble croise le fat, le passionné et le blasé mangent sur la même nappe, le velléitaire et le besogneux trinquent au travail que l'un commencera bientôt et que l'autre s'échinera à tenter d'achever dans la douleur.
La précision et le réalisme avec lesquels Schnitzler nous expose ces différents profils sont admirables. Il sait rendre avec une profondeur et une justesse impressionnantes les caractères si disparates des multiples protagonistes mais surtout les questionnements et les revirements de Saxberger, son personnage principal, celui dont on suit l'évolution, entre sa petite vie tranquille de vieux fonctionnaire et la "gloire tardive" que quelques jeunes admirateurs, comme tombés du ciel, vous lui faire entrevoir.
C'est une autre des grandes qualités de ce roman, ce style tout en finesse. Et ainsi l'univers, l'ambiance où évoluent ces personnages sont tout aussi bien rendus, par petites touches, par de brèves descriptions, des dialogues ou mêmes des sous-entendus, non dénués d'un certain humour.
En conclusion, l'idée préconçue que j'avais au sujet de Schnitzler se trouve confirmée : c'est effectivement une grande plume et je suis heureux, en tant que lecteur, d'avoir pu enfin la découvrir. Mais je dois aussi reconnaître que toutes les questions soulevées par Gloire Tardive m'ont également profondément touché en tant qu'écrivain. Je ne suis pas certain que tous les points d'interrogation qui émaillent mon billet trouveront une réponse, mais j'ai tout de même compris grâce à cette courte histoire que même si l'on ne décrète pas son talent, que l'on ne décide pas de son succès, on peut au moins choisir de s'éviter des regrets. Et pour cela, faire ce qui nous semble bon. Et si c'est écrire, alors écrivons.
Lien : http://sebastienfritsch.cana..
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C'est un inédit que les éditions Albin Michel publient ici dans leur très beau catalogue « Les grandes traductions ».
Médecin, mais surtout grand auteur viennois né dans la seconde moitié du XIXe siècle (probablement l'un des dramaturges viennois les plus joués sur les scènes allemandes), Arthur Schnitzer n'a pas publié « Gloire tardive » de son vivant. Son ami Hermann Bahr, codirecteur de l'hebdomadaire « Die Zeit » était prêt à le faire dans son journal à condition que le texte soit quelque peu raccourci pour éviter une parution en épisodes qui aurait été « grandement dommageable et aurait privé l'oeuvre de toute efficacité ». Une option à laquelle Arthur Schnitzer ne voulut pas consentir. « Gloire tardive » resta donc jusqu'à aujourd'hui à l'état de tapuscrit dans le fond posthume de l'écrivain viennois mort en 1931.

Petit roman – à moins qu'on ne le considère comme une nouvelle – « Gloire tardive » nous fait entrer dans la vie d'Édouard Saxberger au moment où, rentrant de sa promenade quotidienne, il fait la connaissance du jeune écrivain Wolgang Meier. Saxberger a bientôt 70 ans. Il est seul au monde, n'ayant jamais été marié, n'ayant jamais eu d'enfant. Il partage ses journées entre un poste de fonctionnaire, des promenades en solitaire et un repas du soir partagé avec les habitués d'une même taverne enfumée et bruyante du centre de Vienne. Or voilà que cette vie de routine se trouve subitement déstabilisée par l'intrusion tout à fait inattendue d'un jeune poète désireux de rencontrer l'auteur du recueil de poèmes que lui et ses amis du cercle « Exaltation » admirent tant ! Pour le vieil homme, la surprise est totale. Certes autrefois il s'essaya à la poésie, publiant « Les promenades » et quelques autres poèmes dans des périodiques, mais jamais sans rencontrer le moindre succès, n'accédant jamais à la notoriété, à la moindre reconnaissance. La poésie, une futilité de jeunesse ? Saxberger en était arrivé à le penser. Il avait d'ailleurs depuis bien longtemps oublié qu'il avait été un jour, un poète.
Entraîné par Meier dans le café où lui et ses amis tiennent leur quartiers, le voilà encensé par un cercle de jeunes admirateurs qui très rapidement font de lui leur porte-drapeau, leur professeur, leur maître. Gagné par l'orgueil, il se délecte de devenir de jour en jour le centre autour duquel tout ce petit monde à la recherche lui aussi de la gloire, s'esclaffe, s'emporte et tente de refaire le monde à l'aune d'un talent encore bien tâtonnant. C'est comme s'il rajeunissait, si une nouvelle période de sa vie commençait. « L'allégresse de ces jeunes gens lui apparaissait comme l'accomplissement différé de maintes espérances dont il avait fiévreusement attendu la réalisation plusieurs décennies auparavant et qui s'étaient peu à peu diluées dans la grisaille de sa vie quotidienne. »
Tel Icare s'approchant trop près du soleil, Saxberger redescendra vite de son piédestal. le constat est amer et résonne en écho dans les magnifiques pages où Arthur Schnitzer décrit d'une manière très poétique la promenade au cours de laquelle le vieil homme espère raviver l'inspiration de jadis. Mais tout a changé. Lui comme les paysages. Et plus rien ne fonctionne. Et quand les masques tombent et quand la flèche d'une simple réflexion le transperce en plein coeur, la désillusion est totale.
Schnitzer, en double de Freud (c'est ce dernier qui le dit), nous donne ici à lire un opuscule d'une extraordinaire modernité où l'âme humaine se trouve sondée avec beaucoup de justesse et de finesse.
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Jeu de massacre.

La soif de reconnaissance individuelle ou collective constitue la plupart des sociétés et leur donne force et stabilité, chacun aspirant à paraître et à exister aux yeux de ses proches et de ses semblables. C'est le noeud de l'intrigue que vivent les personnages de Gloire Tardive. Que ce soit le personnage principal, Saxberger, ce « vieux monsieur» qui découvre au soir de sa vie qu'il est admiré par un groupe de jeunes poètes (groupe « Exaltation ») pour avoir écrit dans sa jeunesse un recueil de poésies, que ce soient les membres de ce cénacle qui recherchent l'inspiration artistique en essayant de se donner un maître à respecter, un exemple à suivre, aucun n'échappe à ce besoin d'idéal que la vie trahit souvent par les contraintes domestiques. de ces multiples insatisfactions, Schnitzler nous livre une longue nouvelle (de 140 pages) où l'on voit se décliner les rapports entre un milieu artistique et bohème et un milieu petit-bourgeois qui s'envient l'un l'autre pour des raisons opposées. le narrateur prend un malin plaisir à distiller avec humour et ironie les travers de ces deux mondes qui, en définitive, ne représentent que les vanités du genre humain. Chacun en fin de compte retrouve sa place initiale et l'on voit poindre le pessimisme de Schnitzler : Quelques soient ses expériences, l'homme ne change pas, il n'évolue que très marginalement. On aperçoit ainsi, sous l'aspect plaisant du récit, un arrière-plan beaucoup plus sombre et plus dramatique de la société viennoise de la fin du 19ème siècle : l'absence de perspectives, d'aventures, d'illusions créatrices touchant une société installée dans son confort rassurant.
Cette nouvelle de Schnitzler peut se lire comme une pièce de théâtre ou un scénario de film tant la richesse et la diversité de l'action y sont les moteurs de l'intrigue. La présence du narrateur omniscient donne à ce livre une dimension supplémentaire, beaucoup plus profonde et plus humaine et qui en renforce l'intérêt littéraire. Cependant, à part les différentes évolutions de Saxberger, les autres personnages se caractérisent par la stabilité, voire la fixité de leurs comportement et de leurs réactions, toujours très prévisibles ce qui diminue fortement leur épaisseur, leur complexité et leur humanité. Malgré ces faiblesses (de jeunesse ?), on est entraîné presque de façon jubilatoire dans un jeu de massacre qui consiste à mettre à nu psychologiquement chacun des protagonistes mettant en relief les rancoeurs, les jalousies, les envies, les hypocrisies et la plupart des petitesses humaines. On apprécie la lente dégringolade de Saxberger du statut de maître ovationné auquel on ose à peine adresser la parole et qu'on écoute avec componction à celui de camarade, d'égal auquel on parle sans y prêter attention jusqu'au comparse plus ou moins négligé. C'est évidemment l'occasion pour Schnitzler d'une analyse sociologique où chacun reste bien à sa place, même Saxberger redevient le petit-bourgeois fonctionnaire anonyme du début. L'auteur semble prendre acte de ce que les élévations d'âme de la jeunesse restent des illusions qui doivent passer avec l'âge et la maturité (Saxberger). Dans le cas contraire, on se retrouve dans une société nombriliste et irresponsable (groupe Exaltation) qui s'accroche puérilement et désespérément à des chaînes dont elle n'a pas su ou voulu se défaire. Cette oeuvre de jeunesse vaut pour sa lecture agréable, son ton ironique et son arrière-plan pessimiste sur la nature humaine mais manque à mon goût d'un peu d'étoffe, de densité réaliste et de subtilité dans les caractères des personnages. Cependant, Gloire Tardive représente une bonne incitation à la lecture des oeuvres majeures de Schnitzler, trop méconnu en France. En ce qui me concerne, un titre de son oeuvre m'inspire : Vienne au Crépuscule et peut-être aussi Mademoiselle Else.
PS: Livre lu dans le cadre de Masse Critique sur épreuves non corrigées (Sans la couverture définitive ni quatrième de couverture)
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