Survivre à son créateur est un défi. 22 années après la mort de
E.P. Jacobs, Blake et Mortimer - les personnages qu'il a développés à travers des albums publiés de son vivant à dose homéopathique - passent par des hauts et des bas.
Certains succès (rares) ont pu réjouir les fans comme la Machination Voronov ou l'Affaire
Francis Blake. Malheureusement les échecs ont été plus fréquents et m'ont poussé à cesser de suivre cette série pour n'en garder que le meilleur. Une critique très positive dans un quotidien sérieux m'a cependant incité à reporter, une fois encore, l'exécution de cette résolution. Quelle erreur...
Avisant la couverture du Dernier pharaon, j'ai d'abord pensé à une blague, un détournement parodique de la série. Je suis allé vérifier dans les rayonnages de la librairie si ce dernier album était bien vendu avec les classiques comme le Mystère de la grande pyramide ou la Marque jaune. Mais ce n'était pas une blague. C'est même un crime.
Voici les éléments du procès :
1-Le coupable
Ou plutôt les coupables. En effet, cette BD crépusculaire est un travail d'équipe : il lui a fallu pas moins de quatre auteurs (!). Ne les connaissant pas, je m'abstiendrai d'en parler.
2- L'objet du délit
Le scénario plonge Bruxelles dans un chaos qui déchire ses entrailles (très hollywoodien) et faire ressurgir d'étranges créatures issue de la préhistoire (très Jacobs). Voilà une approche hybride, originale et sûrement pleine de trouvailles.
Seulement voilà : généralement le côté ahurissant de cette série s'appuie sur les pseudos argumentaires (pour le plus grand plaisir des lecteurs, affreusement bavards), délivrés dans de larges bulles à l'écriture serrée, et sur des dessins à la ligne claire. Ici, le dessinateur a voulu rompre avec ce style d'origine et produit des dessins hachurés assez froids.
Alors fini le style narratif et le trait de Jacobs. La créature échappe à son maitre. Autre signe de cette rupture, les héros sont fatigués, deux quasi-vieillards (même s'ils sont encore capables de sauter en parachute et de piquer un sprint !) évoluant dans un monde où ils sont devenus des "has been". Quelle triste destinée pour ceux qui, comme le rappelait
Jérôme Dupuis dans son article de l'Express en 2016, sont là pour « sauver le monde libre » !
L'histoire est renversante (comme la pyramide – attention spoiler !). On s'attend presque à voir surgir des zombies dans les cases qui rappellent cet excellent film adapté du livre Je suis une légende. Mais l'histoire est également abracadabrante quand les scénaristes se raccrochent à d'énormes branches pour nous donner la clé du problème (de nouveau spoilers) : heureusement que les savants égyptiens avaient échangé (par Instagram ?) avec les ingénieurs mayas et belges et qu'ils avaient anticipé la découverte de l'électricité en développant des sortes de trappes contre les perturbations électromagnétiques qui, autrement, nous auraient empêché de concevoir les ordinateurs et toute la technologie actuelle.
Au bout de quelques pages les protagonistes poursuivent un but incertain et semblent définitivement perdus dans une fable écolo, sans véritable "bad guy" (à part, pour mettre un peu d'action à la fin, un homme irradié au cerveau luminescent qui n'a aucune responsabilité dans les malheurs de nos héros, sauf qu'il passait par là).
3- le mobile
Faire du neuf avec du vieux et s'amuser. Espérons que les quatre auteurs y ont pris du plaisir, ce n'est pas forcément partagé.
4- Verdict
Au final, une suite que j'ai trouvé très décevante qui achève cette série à mes yeux.
Hergé avait voulu tuer Tintin dans son dernier album, peut-être avait-il pressenti tout le mal qu'un éditeur pouvait faire à son personnage et à ses lecteurs. Cette fois, j'ai trop de respect pour
E.P. Jacobs qui nous a quitté sans laisser d'héritier : on ne m'y reprendra plus à lire la suite indigne de ces courageux et sympathiques gentlemen.
Conseil : amateurs (old school) de Blake et Mortimer, passez votre chemin...
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