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Critique de HordeDuContrevent


« le noir est d'une clarté cristalline, comme il l'est peut-être toujours, à l'instant de sa vie où l'on se rencontre soi-même ».

Il me semble que ce roman est précisément noir mais d'une clarté cristalline. C'est exactement comme cela que je ressens ce livre, une noirceur cristalline. Et cette citation du livre résume tellement bien finalement tout le roman, obsidienne triphasée dont les faces s'illuminent alternativement, taillée et polie lentement sous nos yeux jusqu'à la pierre précieuse d'ensemble, à la toute fin. Et depuis ma lecture, le livre désormais refermé, je ne cesse de penser à l'aura et au magnétisme que dégage cette pierre.

« Prochain arrêt », ce livre du suédois Alex Schulman parle d'un train vous l'aurez compris, d'un arrêt dans une gare bien particulière mais également d'un arrêt sur image. Ce train remonte le temps comme peuvent le faire les photographies qui captent et figent le passé. Henriet, Oskar et Yana tels sont les protagonistes principaux qui ont droit alternativement à un chapitre formant une valse à trois temps, trois temps qui se répètent et se rythment. Trois passagers a priori étrangers les uns aux autres, dans un train, à destination de Malma.

Ce livre pourrait faire penser au délicat livre japonais « Au prochain arrêt » de Hiro Harikawa, roman choral lui aussi où focus est fait sur certains passagers d'un train, chaque chapitre étant consacré à un arrêt de la ligne Imazu. Un chapitre, une gare, un personnage dont le lecteur partage les pensées, la vie, les failles intimes, et observe avec lui les personnes croisées dans ce même train. du moins celles qui attirent justement l'attention.
Ici cependant, au fur et à mesure de l'avancée du train où les chapitres défilent comme les paysages suédois, s'éclairent progressivement les liens qui unissent ces trois protagonistes ainsi que la raison de ce voyage. Les paysages défilent, encadrés par le contour des fenêtres comme autant de clichés sans cesse mouvants, propices à la rêverie, à la remontée des souvenirs, à l'assoupissement, à l'engourdissement. Ce train se dirige vers Malma, c'est surtout un voyage dans le passé, comme si le glissement du train sur les rails permettait de remonter le temps. Destination plus temporelle que géographique donc.
Surtout le livre est plus noir, plus féroce sous ces airs anodins…C'est un huis-clos oppressant qui se joue dans ce train reliant Stockholm à Malma, au sud de la Suède.

Et hasard des lectures, alors que mon livre lu précédemment (Les seize arbres de la Somme du norvégien Lars Mytting) parlait d'un photographe, me voilà embarquée dans un train avec un autre passionné de photographie, façon là encore de figer le passé et de voir la vie sous un autre angle.
« Harriet dirige l'appareil photo vers lui, l'observe dans le rectangle, les couleurs y sont plus intenses, le vert des plantes plus lumineux, le ciel derrière papa plus bleu qu'en réalité, comme si elle regardait à l'intérieur d'un conte. »

C'est mon libraire préféré qui m'avait conseillé ce livre avec son enthousiasme habituel. Il m'avait vanté la subtilité de la trame narrative. « Vous verrez, nous nous demandons quels liens entretiennent ces personnes, si le train est le même à chaque chapitre, si l'époque est la même, c'est flou, l'auteur se joue de nous et peu à peu tout s'éclaire avec brio ». C'est vrai, mais j'avoue avoir vite compris qui était qui, relativement aux autres, il m'aura fallu trois chapitres pour le deviner. J'ai ainsi été surprise, j'imaginais la trame narrative plus subtile, plus fine et plus complexe, même si je reconnais une approche très originale pour raconter une tragique histoire familiale. Alex Shulman dévoile progressivement, au moyen de cette structure à trois temporalités, les différents éléments permettant de comprendre la façon dont les destins se mêlent, s'enlacent, se séparent et ce à travers les époques. C'est tout de même bien vu mais pas si centrale me semble-t-il. Disons que ce n'est pas ce que je retiens avant tout du livre.

Non, ce qui pour moi a été déterminant est la façon dont est abordé un thème délicat, celui de l'enfance broyée par les parents même, du fait de leurs paroles, de leurs actes, de leur irresponsabilité parfois, puis des séquelles de cette enfance laminée sur ses propres enfants. Alex Schulman aborde avec beaucoup de délicatesse et un ton très singulier les thèmes classiques de la transmission, de la mémoire familiale, du poids des secrets.

Si le rôle des parents dans notre construction n'est pas à démontrer, s'ils peuvent être à l'origine de nos maux une fois devenus adultes, toute la question, centrale, est de savoir comment y remédier au risque de tomber dans une certaine forme de plainte éternelle, de nombrilisme ou de ce qui peut être considéré par nos proches de narcissisme, nous coupant d'avec les autres, nous isolant. A l'image de ce mari qui hurle, désespéré, à sa femme dont une grande part est restée figée dans l'enfance à se débattre avec certains fantômes : « Je ne veux pas que tu m'expliques pourquoi tu vas mal ! Je veux que tu fasses quelque chose pour y remédier ! ».

« Comme la vie doit être simple, de cette manière, il y a toujours une réponse, tout a une explication ! On n'est jamais soi-même coupable de rien, on est seulement victime des erreurs ou des manques d'autrui ».

Sauf que la façon d'y remédier est souvent un long chemin de croix. Comment se défaire de nos traumatismes d'enfance, et de ceux des générations passées ? Comment briser une telle chaine, un peu à l'image d'un train, un train familial, dans lequel chaque génération rajouterait un wagon supplémentaire et donc un poids de plus ? Comment éviter que certains éléments traumatiques se répètent ?
Le personnage féminin central du livre, qui n'arrive pas à s'en sortir, m'a émue aux larmes. Il faut dire que l'auteur a une plume très particulière. Il sait distiller ce qu'il faut de malaise pour créer une gêne, une angoisse latente, nous donnant irrésistiblement envie de découvrir ce qui va arriver au prochain arrêt, car nous le sentons, là se cache une clé d'explication de leur mal-être. Alors les chapitres s'enchainent avec rythme telles les images du paysage dans un train à grande vitesse.


Avec une impressionnante finesse et une grande sensibilité, l'auteur suédois, au moyen d'une structure narrative originale, raconte la noirceur de l'âme humaine, son incompréhensible besoin d'obscurité qui le dispute à son insaisissable besoin de sécurité, ses psychoses sous-jacentes et la transmission intergénérationnelle. J'ai été très impressionnée par son analyse de la psychologie des personnages. Ce livre a souvent vibré en moi tant la plume de l'auteur sait utiliser de belles métaphores simples et belles pour dire l'indicible. Un livre fort réussi.


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