Mon premier coup de coeur depuis longtemps.
Une oeuvre digne de
Pierre Pevel et, sachant à quel point j'adore cet auteur, c'est une éloge des plus conséquentes. Pas depuis que j'ai découvert les Lames du Cardinal et les autres travaux de
Pevel n'ai-je autant été absorbé dans une oeuvre de fantasy.
V. E. Schwab y arrive et, dans certain domaines, atteint son niveau.
La plupart du temps, c'est le titre qui m'attire vers un roman. J'ai toujours trouvé que la magie est le socle de la fantasy et le défaut de la plupart des oeuvres de fantasy est que la magie est considérée comme un détail parmi tant d'autre. Schwab la met carrément dans le titre, annonçant avant même le livre pris en main la couleur de l'intrigue: "A Darker Shade of Magic". Souvent, le titre m'attire et la lecture de la quatrième de couverture me fait déchanter. Pas ici. J'étais encore plus prit par le truc en lisant cette histoire de Londres parallèles (La Londres Grise, la Londres Blanche, la Londres Rouge et la Londres Noire), chacune avec son propre monde (La Grise alignée avec notre histoire, la Blanche avec un monde mourant où la survie est le seul objectif de chacun, la Rouge avec un empire gouverné depuis Londres nommé Arnes, et la Noire qui est aussi mystérieuse et obscure que le suggère son nom) et sa propre relation avec la magie.
Comme dans un roman de
Pevel, et semblant vouloir attirer le lecteur que je suis, la véritable force de ce roman repose avec ses personnages. Ils sont tous très réussis, attachants, avec leurs propres histoires et leurs propres conflits qu'ils gèrent plus ou moins bien.
En tête de liste se trouve Kell, le personnage principal. Il est un Antari, un magicien du sang et l'un des deux seuls êtres à pouvoir voyager entre les mondes et le seul à pouvoir constater les différences entre eux. Notamment, il nous permet de voir la différente relation qu'entretient chaque monde avec la magie (La Grise a perdue presque tout contact avec la magie, la Rouge baigne dedans et rare sont ceux qui ne peuvent l'utiliser, tandis que la Blanche a presque épuisée ses ressources de magie et se bat pour conserver le peu qu'il reste. Quant à la Noire....). Notamment, Kell a une affection particulière pour la Londres Grise, un monde où la magie est si peu présente que les hommes qui y vivent doivent dépendre de leur ingéniosité et bâtissent des constructions qui durent plutôt que les créations éphémères de la magie dans la Londres Rouge. Cependant, malgré sa capacité unique de voyager entre les mondes, Kell a bien moins de liberté qu'il ne semble en avoir et il n'apprécie que très peu les chaines qui le maintiennent. Les Antari sont tellement rare que les pouvoirs des différents mondes encore conscients de la magie sont prêt à tout pour en obtenir un. C'est un furtif désir (oserais-je dire, une furtive 'fantasie') d'échapper à cette convoitise qui l'entrave qui mènera à la crise principal du roman.
Kell ne connaît même pas son propre nom. Il fut remis à la famille royale d'Arnes enfant, avec la marque de l'Antari sur lui (un oeil entièrement noir, marqué par l'unique magie qu'il possède) et un couteau possédant les initials K. L. qui lui donna son nom. S'il est traité avec affection et pratiquement comme un fils par le roi Maxim et la reine Emira, et certainement comme un frère par le prince héritier Rhy, il est conscient d'être une possession de la famille royale plutôt qu'un de ses membres. Malgré son pouvoir de voyager entre les mondes, il n'a jamais eu le droit d'aller découvrir le reste des mondes qu'il visite: il doit se contenter des trois Londres. En rébellion contre ce système et comme le transfert d'objets d'un monde à un autre est considéré comme une trahison, il agit en secret comme contrebandier, prenant et échangeant des choses de chaque monde. Pour les enthousiastes de la magie dans la Londres Grise, il leur apporte des objets magiques ou 'merveilleux' de son monde qu'il échange contre des objets du monde gris.
Partageant la scène avec Kell comme personnage principal de l'histoire, nous avons Delilah Bard, une jeune voleuse de la Londres Grise qui survit depuis des années en volant et, parfois, grâce à la complicité d'un tavernier qui la soutient comme il peux sans entraver son désir d'indépendance. Car si Lila désire une chose plus que toute autre, c'est la liberté. La liberté de vivre comme elle le souhaite et sans entrave. Si elle vole, c'est pour obtenir ce désir. Cependant, quand sa route croise celle de Kell, elle découvre que le monde est bien plus étrange qu'elle ne le pensait... et qu'il y a également tellement plus à voir et à découvrir. Lila est un personnage très réussi puisque, comme Kell, elle possède des qualités et des défauts qui font que 'on s'attache à elle très facilement. Elle est géniale mais peux aussi ëtre extrêmement frustrante et elle ne laisse personne lui marcher sur les pieds. Mais, si cette caractérisation ne suffit pas, une révélation est éventuellement faite sur la passé de Lila qui laisse présager des choses très intéressante pour le futur de la série.
Quand elle rencontre Kell, il est surpris par son affinité avec la magie qui ne devrait pas exister en un habitant du monde gris. Ce n'est que lorsque Lila rencontre le mentor de Kell, Tieren, un prêtre de la Londres Rouge qui vénère la magie, qu'une partie du mystère est levé: Lila a un oeil qui lui manque et qui a été remplacé par un oeil de verre. Serait-elle une Antari du monde gris?
Valant également le coup d'être mentionné parmi les personnages très réussi est le seul autre Antari connu des quatre mondes: Holland. Contrairement à Kell, Holland vient du monde Blanc, un monde où chaque jour est un combat pour survivre dans un monde mourant. Tout comme Kell, Holland rêve de liberté mais d'un manière différente. Contrairement à Lila, il n'est pas piégé par les circonstances de la naissance et obligé de s'adapter pour survivre. Contrairement à Kell, il n'est pas emprisonné par des chaines dorées contre lesquelles il ne peux s'empêcher de se révolter. La prison d'Holland est plus dangereuse et solide que celle des deux autres: une prison de l'esprit. Il ne peux s'en libérer et son fardeau, malgré le fait qu'il n'a pas de point de vue dans le livre, est l'un des plus pesants à suivre.
le point de vue de Kell nous permet d'apprendre qu'Holland fut jadis l'un des trois prétendants au trône au trône du monde Blanc pendant l'une des luttes de pouvoir de ce monde. Contrairement à ses rivaux et malgré sa propre volonté impitoyable, Holland avait vraiment l'intention de vouloir guérir son monde et méprise le prix qu'il doit payer pour obtenir le trône. Cette absence de sadisme (comme le note l'un de ses rivaux) lui fait perdre la partie. Les vainqueurs, les jumeaux Dane, place un sortilège d'asservissement de l'esprit sur leur rival vaincu et se serve de lui comme pion dans leurs jeux macabres, conscient qu'il ne peuvent tuer le seul Antari de leur monde. Holland est prêt à tout pour accomplir ses objectifs. Et il est prêt à payer n'importe quel prix.
Quand je dis ça, il est prêt à laisser Kell utiliser une faille dans sa défense pour le tuer et mettre un terme à son calvaire Cela se voit dans la course impitoyable qu'il mène avec Lila et Kell pour la maîtrise d'un artefact mystérieux.
Le désir de liberté est un thème sous-jacent qui est omniprésent, comme on peux le voir avec Kell, Lila et Holland. Et la magie ne représente-t-elle pas la liberté ultime? Nous en arrivons au plus grand coup de génie de Schwab.
Dans ce livre, la magie est elle-même un personnage à part entière.
C'est plus compliqué que cette phrase qui résume simplement la chose, mais les derniers chapitres et la dernière bataille de Kell contre la pierre noire convoitée par tout les protagonistes de l'histoire révèle que l magie a même un nom: Vitari.
Comme l'explique Kell, la magie n'est pas juste un pouvoir qu'on utilise. Les avis divergent mais Kell est convaincu qu'il faut traiter la magie comme une égale plutôt que comme une choses à dompter et à conquérir, la mentalité qui domine parmi les enthousiastes du monde Gris et les survivants du monde Blanc. Dans la Londres Rouge, un culte est rendu à la magie en lieu d'un 'divinité invisible et silencieuse'. Et, tout comme il faut la respecter, l'admirer et l'adorer, il faut également la craindre. La magie est représentée comme un feu avec lequel il est facile d'avoir chaud... mais il est également facile de s'y brûler. Et elle aussi rêve de liberté, à sa manière:
jadis, les quatre mondes avaient une relation avec la magie et entre eux. Mais, dans la Londres désormais appelée la Londres Noire, la magie a pris vie comme un feu en liberté, dévorant toute chose possédant la magie en elle. Horrifié par cela, les trois autres monde scellèrent les portes entre les mondes pour empêcher la menace de la Londres Noire de se propager et tout les artefacts de ce monde furent purger. D'où la loi sur l'interdiction de transférer des objets entre les mondes et l'explication de pourquoi seul les Antari peuvent voyager entre des mondes désormais séparés.
Des personnages géniaux, donc. Bien sûr, Kell, Lila, Holland et la magie ne sont pas les seuls personnages de ce récit et beaucoup d'autres personnages mériteraient plus d'explication, comme le prince-héritier Rhy (l'héritier d'un monde magique qui galère à maîtriser ne serait-ce que les bases de la magie), les jumeaux-souverains Athos (un sadique qui verra son appétit pour la souffrance le perdre) et Astrid Dane (une manipulatrice qui verra ses manipulations la condamner), Barron le tavernier, Parrish et Gen de la garde royale de Rhy et j'en passe. Mais le seul gros défaut de ce roman est que Schwab conserve notre attention sur un seul groupe de personnages. Quand les autres font éruption dans le récit, on se pose parfois des questions qui auraient peu être éviter si un style moins intime avait été utilisé. Et les détours pour voir comment se portent des personnages qui ne servent qu'une scène où qu'un objectif traine puisque nous n'avons qu'une envie: retrouver les personnages qui portent le récit. Même la magie souffre de ce problème au début:
la grande crise qui domine la dernière partie du roman, la propagation d'une magie similaire à celle qui avait dévastée la Londres Noire au sein du monde rouge (que le livre suivant appelle 'the Black Night', n'est jamais présentée comme une menace contre des personnages principaux et seule sa résolution permet de montrer que c'était réellement une crise qui aurait pu décimer le monde. Utiliser le personnage du roi Maxim et de la reine Emira pour montrer le danger de cette crise aurait pu mieux servir le récit.
Mais, à ce détail prêt, c'est un sans faute et une lecture incontournable pour tout ceux qui pense que la magie et les personnages devraient se trouver au coeur de toute bonne oeuvre de fantasy.
V. E. Schwab le comprend parfaitement.
Après tout, elle a fait d'une pierre deux coups en combinant magie et personnage.