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Critique de le_Bison


« La nuit venait de tomber et j'avais encore plusieurs heures de route à faire. Je me méfie des relais, ils sont à l'écart de tout, mais j'avais besoin de repos et de boire quelque chose pour me réveiller. [...] Il n'y avait pas beaucoup de monde : un jeune couple qui mangeait des hamburgers, un type de dos au fond de la salle, un homme plus âgé au bar. Je me suis assis à côté de lui, le genre de réaction qu'on peut avoir lorsqu'on a trop voyagé ou qu'on n'a pas parlé à quelqu'un depuis longtemps. J'ai commandé une bière. le barman, un gros homme, se déplaçait lentement.
- C'est cinq pesos, a-t-il annoncé.
J'ai réglé, il m'a servi. Cela faisait des heures que je rêvais d'une bière et celle-ci était bonne. le vieux semblait absorbé par son verre ou par ce qu'il y voyait.
- Vous lui payez une bière et il vous raconte une histoire, m'a dit le gros en désignant le vieil homme. »

Cinq pesos la bière, cinq pesos l'histoire. J'y trouve mon compte. J'aime bien qu'on me raconte des histoires en buvant une bière. Surtout quand la poussière sèche me brûle la gorge et que je me retrouve perdu au milieu de la pampa. Alors des histoires, ça vous divertit un homme devant sa pinte, surtout quand cela flirte, en plus de la serveuse, avec Borges ou Bioy Casares. D'ailleurs, je me suis toujours promis de les lire, ces deux gars, un jour avant ma fin.

Alors le vieux brise le silence, regarde son verre presque vide, la mousse laissant quelques traces sur les parois de son verre, comme les stigmates d'une limace sur un carrelage propre et brillant. Il commence par cette jeune fille qui dépérit jusqu'à ce qu'elle découvre que manger des oiseaux vivants la ressource. Beurk, je recommande une bière, pour moi et pour le vieux, histoire de faire passer le goût de plumes dans la bouche et éteindre en moi le bruit de ces petits os qui craquent sous la dent.

Il enchaîne alors avec cet homme qui tue sa femme, met son corps dans une valise et file avec chez son médecin. Je te laisse le soin de découvrir le cynisme du médecin ou plutôt de la société. Mais là encore, je croise le regarde de la serveuse, le sourire de la pampa sur son visage bronzée par le sel et le soleil. Elle revient avec deux bières. Bien vu ma jolie, le vieux pourra ainsi continuer son recueil d'histoires, toujours inquiétantes, parfois fantastiques, souvent insolites. La vie dans la steppe n'est pas simple. En regardant par la fenêtre, dans l'obscurité plane de la campagne, je n'y vois que désillusion. J'ai besoin d'aller aux toilettes. Trop de bières…

En marchant jusqu'au fond de la cour, je repense à ce que disait ma mère : « Si tu cognes fort la tête de quelqu'un contre l'asphalte, il est probable que tu finiras par le blesser. » C'est pas faux. Je retourne au comptoir, le vieux s'est endormi, à même son tabouret. Je n'ai plus qu'à attendre le prochain train pour la civilisation. S'il décide de s'arrêter à cette gare portée par le vent et recouverte de toute la poussière de l'Argentine. Je reviendrais par ici, par curiosité, avec cinq pesos ou plus.
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