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Citations sur Homo Domesticus (41)

On ne surestimera jamais assez l'importance de la sédentarité et de la concentration démographique qu'elle a entraînée. Cela signifie que presque toutes les maladies infectieuses dues à des micro-organismes spécifiquement adaptés à Homo sapiens ne sont apparues qu'au cours des derniers dix millénaires et nombre d'entre elles depuis seulement cinq mille ans. Elles constituent donc un " effet civilisationnel ", au sens fort du terme. Ces maladies historiquement inédites — choléra, variole, oreillons, rougeole, grippe, varicelle et peut-être paludisme — n'ont émergé qu'avec les débuts de l'urbanisation et, comme nous allons le voir, de l'agriculture. Jusqu'à très récemment, dans leur ensemble, elles constituaient la principale cause de mortalité humaine. Cela ne signifie pas que les populations d'avant la sédentarité ne possédaient pas leurs propres parasites et maladies ; simplement, il ne s'agissait pas de pathologies d'origine démographique, mais plutôt de maladies caractérisées par une longue période de latence et/ou par des réservoirs non humains : typhoïde, dysenterie amibienne, herpès, trachome, lèpre, schistosomiase et filariose.

Chapitre 3. Zoonoses : la tempête épidémiologique parfaite.
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À partir du moment où nous disposons d'archives écrites, les preuves de l'occurence d'épidémies mortelles se multiplient et l'on peut en déduire de façon prudente leur existence à des périodes antérieures. L'épopée de Gilgamesh en est peut-être le témoignage le plus parlant, avec le passage où son héros affirme que sa renommée survivra à la mort tout en décrivant le spectacle d'un flot de cadavres descendant l'Euphrate, probablement victimes d'une maladie infectieuse. Il semble bien que les Mésopotamiens aient constamment vécu sous la menace d'épidémies létales. C'est ce dont témoignent les amulettes, les prières, les poupées prophylactiques et l'existence de déesses et de temples aux vertus " curatives " — le plus célèbre étant celui de Nippur — destinés à protéger les humains contre ces maladies collectives. Ces phénomènes étaient, bien entendu, assez mal compris à l'époque, et souvent attribués à la colère meurtrière d'un dieu, ou bien perçus comme la punition d'une transgression qui exigeait un rituel compensatoire, tel le sacrifice de boucs émissaires.
Les premières sources écrites montrent toutefois que les peuples de la Mésopotamie antique comprenaient le principe de la contagion. Chaque fois que c'était possible, ils prenaient des mesures afin de mettre en quarantaine les premiers cas identifiables en les confinant à leurs domiciles sans laisser entrer ni sortir personne. Ils comprenaient que les voyageurs de longue distance, les commerçants et les soldats pouvaient être porteurs de maladies. Leurs pratiques d'isolement et de prévention préfigurent les mesures de quarantaine des lazarets des ports de la Renaissance. Et cette compréhension de la contagion se manifestait non seulement par l'évitement des personnes infectées, mais aussi par celui de leur vaisselle, de leurs vêtements ou de leur literie. Les soldats de retour d'une campagne militaire et soupçonnés d'être porteurs d'infection étaient contraints de brûler leurs vêtements et leurs boucliers avant de pénétrer dans la ville. Lorsque l'isolement et la quarantaine échouaient, ceux qui le pouvaient fuyaient la cité, laissant derrière eux les morts et les agonisants, et ne revenant chez eux, s'ils revenaient, que bien longtemps après la fin de l'épidémie. Ce faisant, il est probable qu'ils aient fréquemment transporté avec eux la maladie dans les régions voisines, engendrant ainsi un nouveau cycle de quarantaines et de fuites. De mon point de vue, il y a peu de doute qu'une bonne partie des abandons précoces et non chroniqués de régions fortement peuplées aient eu des causes épidémiologiques plutôt que politiques.

Chapitre 3. Zoonoses : la tempête épidémiologique parfaite.
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Au fur et à mesure que progresse l'effort d'appropriation, il faut constamment mettre à jour les registres de livraisons de céréales, de corvées effectuées, de réquisitions, de reçus, etc. […] À l'origine, ni en Chine ni en Mésopotamie l'écriture ne fut conçue comme un moyen de représenter le langage.

Chapitre 4 : AGROÉCOLOGIE DE L'ÉTAT ARCHAÏQUE, Quand l'écriture engendre l'état : comptabilité et lisibilité.
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Les paysanneries, ayant une longue expérience du rapport à l'État, ont toujours su que l'appareil d'État était une machine à archiver, à enregistrer et à mesurer. C'est pourquoi, lorsqu'un fonctionnaire chargé des levés topographiques venait les visiter avec son goniographe, ou que des recenseurs venaient avec leurs planchettes à pince et leurs questionnaires pour enquêter sur les ménages, les sujets de l'État savaient que cela n'annonçait rien de bon : conscription, travail forcé, saisies de terres, impôts de capitation ou taxes foncières. Ils comprenaient intuitivement que derrière la machinerie coercitive s'amoncelaient des piles de paperasses : listes, documents, rôles d'imposition, registre de population, règlements, réquisitions, ordres — une paperasse dont le caractère ésotérique les dépassait en général complètement. Étant donné leur ferme conviction que les documents écrits étaient liés à la source de leur oppression, il n'est pas étonnant que la première initiative de nombres de rébellions paysannes ait été d'incendier les archives locales où ces documents étaient conservés. Les paysans saisissaient bien le fait que c'était à travers ses registres et ses livres de compte que l'État «voyait» son territoire et ses sujets, et ils supposaient implicitement qu'«aveugler» l'État pouvait mettre fin à leurs maux.

Chapitre 4 : AGROÉCOLOGIE DE L'ÉTAT ARCHAÏQUE, Quand l'écriture engendre l'état : comptabilité et lisibilité.
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Ce que l'Etat a certainement inventé, ce sont des sociétés de grande taille reposant systématiquement sur le travail forcé et une main d'oeuvre asservie.
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L’État archaïque était comme les aléas climatiques : une menace supplémentaire plus qu’un bienfaiteur.
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Il est donc clair que nombres de barbares n'étaient pas des primitifs arriérés ou marginalisés, mais plutôt des réfugiés politiques et économiques ayant fui vers la périphérie afin d'échapper à la pauvreté, à l'impôt, à la servitude et aux guerres liés à l'existence de l'Etat.
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L'Etat n'a pas plus inventé la guerre qu'il n'a inventé l'esclavage, mais il a considérablement renforcé ces institutions en en faisant les rouages essentiels de son fonctionnement.
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L’État est à l’origine un racket de protection mis en oeuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres.
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Non seulement le camp de regroupement plurispécifique constituait un rassemblement très dense de mammifères avec un degré de proximité sans précédent historique connu, mais ce rassemblement était accompagné par la cohorte de toutes les bactéries, protozoaires, helminthes et virus qui prospéraient à leurs dépens.
Dans cette vaste course de nuisibles, les vainqueurs étaient les pathogènes capables de s’adapter rapidement aux nouveaux hôtes habitant la domus et de s’y reproduire en masse. Ce fut le premier franchissement massif de la barrière des espèces par un groupe de pathogènes, qui déboucha sur un ordre épidémiologique entièrement nouveau.
Naturellement, le récit de cette percée est narré depuis la perspective (horrifiée) d’Homo sapiens. Il aurait certainement été encore plus sombre du point de vue, disons, de la chèvre ou du mouton, dont l’appartenance à la domus n’était même pas volontaire. Je laisse à l’imagination du lecteur ce que pourrait être le récit d’une chèvre antique et omnisciente sur l’histoire de la transmission des maladies au Néolithique.

La longueur de la liste des maladies partagées avec les animaux domestiques et les consommateurs de la domus est saisissante.
D’après des données sans doute déjà périmées et sous-estimées, les humains ont en commun vingt-six maladies avec les poules, trente-deux avec les rats et les souris, trente-cinq avec les chevaux, quarante-deux avec les cochons, quarante-six avec les moutons et les chèvres, quarante avec les bovins et soixante-cinq avec notre plus ancien compagnon de domesticité, le chien.
On soupçonne que la rougeole est issue d’un virus de peste bovine ayant infecté les moutons et les chèvres, que la variole provient de la domestication des chameaux et d’un rongeur archaïque porteur de la vaccine et que la grippe est liée à la domestication des oiseaux aquatiques voici quelque quatre mille cinq cents ans.
Cette génération de nouvelles zoonoses trans-spécifiques a prospéré au fur et à mesure que les populations humaines et animales augmentaient et que les contacts à longue distance devenaient plus fréquents.
Ce processus continue aujourd’hui. Rien d’étonnant, donc, à ce que le sud-est de la Chine, en particulier le Guangdong, à savoir probablement la plus vaste, la plus ancienne et la plus dense concentration d’humains, de porcs, de poulets, d’oies, de canards et de marchés d’animaux sauvages du monde, soit une véritable boîte de Pétri à l’échelle mondiale propice à l’incubation de nouvelles souches de grippe aviaire et porcine.

L’écologie des maladies du Néolithique tardif n’est pas simplement le résultat de la densité démographique des humains et des espèces domestiquées dans des établissements sédentaires. Elle est plutôt l’effet de l’ensemble du complexe de la domus en tant que module écologique. Le défrichement et la mise en culture des terres, de même que le pâturage des nouveaux animaux domestiqués créaient un paysage entièrement nouveau et une niche écologique sans précédent, plus ensoleillée, avec des sols plus exposés, investie par de nouvelles espèces végétales et animales, d’insectes et de micro-organismes se substituant au peuplement des écosystèmes antérieurs. Cette métamorphose était en partie intentionnelle, comme dans le cas des espèces cultivées, mais elle était surtout le résultat de la somme des effets collatéraux de deuxième et de troisième ordre de l’apparition de la domus.
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