Citations sur Le chien rouge (29)
Il y avait en lui une double tension, l'une vers l'intériorité et la contemplation animale, l'autre vers l'action d'une conscience sociale en révolte, rouge comme la colère qui l'habitait
Je savais que jamais je ne pourrais me défaire de cette pointe au coeur, de ce regret et de cette tentation, parce qu'ils étaient le mouvement conditionné, l'instinct social de l'homme emporté par les eaux, qui, persistant à ignorer qu'il lui est loisible de nager, de plonger ou de se perdre, tend la main vers la seule bouée qu'on lui eût appris à connaître.
L'ère des révolutionnaires était passée. Le temps des indignés était venu.
Ah ! soupira-t-il. La révolution par la culture ! C'est une belle théorie en laquelle je ne crois plus. J'en arrive à la conclusion que le pouvoir reste exercé par ceux qui ont décidé d'y parvenir coûte que coûte et que, selon la formule fameuse, il corrompt absolument.
C'était un homme qui devait approcher la cinquantaine. Son visage était émacié, ses cheveux blancs, son corps sec. Il portait des écouteurs et se contenta d'un salut de la main en me dépassant. Je fus frappé par la vitesse à laquelle il courait en pleine côte, la détermination qui se lisait sur ses traits luisants de sueur, la cisaille de ses bras, de ses jambes, le souffle qu"il expulsait à un rythme régulier, comme si sa vie dépendait de son ascension.
Chaque jour, je constatais que des bracelets de fer supplémentaires se refermaient autour de mes chevilles et que des chaînes aux maillons plus épais me reliaient à une énorme ventouse numérique, à des machines vampires qui, depuis la Silicon Valley, consommaient mon existence en me laissant croire qu'elle m'appartenait.
Je me sentais comme un homme broyé sous la presse de l'Histoire. Le monde, les principes, les valeurs et la culture par lesquels et pour lesquels j'avais été fabriqué venaient d'être, en l'espace d'une ou deux décennies, jetés par-dessus bord.
À l'université, je travaillais comme une machine au profit d'une organisation qui demandait toujours plus à ses membres sans se souvenir qu'il pouvait être juste de parfois les récompenser.
Les chiens étaient devenus là réplique des humains :des ventres sur pattes conditionnés auxquels on avait retiré l’âme sauvage et profonde,toute forme de fierté, de sagesse naturelle et de grandeur.
Nous étions quelques-uns encore auxquels on avait appris l'orthographe, le goût des livres, de la pensée, de la culture construite, du latin, du grec, et maintenant non seulement on nous expliquait que cela ne servait plus à rien, mais nous étions devenus des fantômes qui se cherchaient entre eux dans les décombres, invisibles aux nouveaux venus qui, à présent, menaient le monde et joyeusement y dansaient.