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Critique de fanfanouche24


Je suis une "aficionada" de Jean-Luc Seigle... Sa sensibilité, ses thématiques, son style me touchent au plus profond... Là aussi, cela a marché... sauf que je suis comme les enfants, j'ai du mal à accepter les histoires qui finissent mal...

Une histoire qui débute dans le désespoir d'une femme, Reine, acculée financièrement, et mentalement. Au chômage depuis un long moment, abandonnée par son mari, elle ne sait comment sortir du tunnel, et faire vivre décemment ses trois enfants...Elle pense à faire le pire...Ouf, elle se reprend, nettoie son jardin, embarrassé par des tonnes d'objets,
de ferraille, que son mari avait accumulés... Elle veut au moins retrouver un jardin digne de ce nom, des fleurs...une sorte de beauté dans le quotidien, qui aide à vivre et à espérer... ....et MIRACLE, elle va trouver une vieille mobylette, qu'elle parvient à faire démarrer. Cette chère mob. va lui permettre de se présenter à un
entretien de boulot...

Elle deviendra thanatopracteuse", pourra redresser "la barre",faire vivre ses enfants; parallèlement, elle rencontre un homme,"cabossé" comme elle, cela sera le coup de foudre immédiat, entre eux... On est content... La vie semble à nouveau sourire à Reine, mais le sort... va revenir s'acharner ! je n'en dis pas plus...

Même si le style est aéré, poétique, ne fait que suggérer; A nouveau le ciel s'assombrit très violemment ! A tel point que j'ai achevé l'histoire de Reine et de ses enfants, la gorge complètement nouée...On espérait tellement que les batailles, l'acharnement, la gentillesse et les talents de cette femme voient la fin du mauvais temps, des tempêtes !..

"Travailler avec des morts ne pouvait pas être pire que travailler à l'usine. Et puis, les morts, sûrement à cause de sa proximité depuis l'enfance avec les ancêtres, lui faisaient au fond moins peur que les vivants. Ca risquait même d'être assez agréable de préparer
des hommes et des femmes à devenir des fantômes" (p. 32)

"Les enfants médusés, ne posent aucune question. Sacha se contente de dire: "Tu touches les morts", avec une certaine admiration. Sonia ajoute: "Non elle ne les touche pas, elle les habille pour les faire beaux."
Igor est des trois le plus impressionné à l'idée que sa mère serve de passeur entre des vivants qui ne le sont plus et Dieu que personne ne voit. Il aime les points de force de sa mère , son courage, sa vivacité, son acharnement à vouloir transformer la réalité avec ses
tissanderies, sa propension aussi à l'émerveillement tout en sachant que son comportement volontariste, cette violence qu'elle se fait subir à elle-même pour être à la hauteur, n'ont pour socle que son extrême fragilité." (p. 91)


Comme à chacune de mes lectures de Jean-Luc Seigle, je ressent très vivement l' empathie, et la compréhension intime de l'écrivain envers les personnages qu'il met en avant !

J'ai été très émue par ce personnage féminin, pauvre, accablée par la précarité, mais qui reste un personnage lumineux, qui aime la vie , l'amour , ses enfants, sa grand-mère qui l'a élevée avec intelligence et bienveillance... qui garde un esprit d'enfant, elle
s'émerveille de tout, croit à une renaissance possible grâce à l'amour qu'elle rencontre en la personne aussi attachante et blessée qu'elle, Jorgen, routier au demeurant qui se révèle être un peintre connu, de talent mais qui écoeuré par le monde commerçant, vénal de l'art, lâche tout !!
. Deux êtres "purs", authentiques qui veulent une vie meilleure, comme un monde meilleur...

Je ne reviens par sur la conclusion qui me peine et que
j'imagine différente, dans ma tête !!

Ce qui m'a particulièrement retenu c'est le deuxième texte qui prolonge le roman...Et qui donne quelques clefs sur les sujets récurrents qui habitent depuis très jeune, Jean-Luc Seigle....

Ce deuxième texte plus autobiographique, où des éléments de son parcours nous permettent de mieux saisir le choix de ses personnages parmi "les éclopés de la vie", des exclus, des personnes trop modestes pour se sentir le droit de prendre la parole...Il est le digne petit-fils de ses grands-parents communistes qui l'ont élevé: un grand-père , paysan, et une grand-mère, femme de ménage, qui lisait la nuit, et a transmis son amour des livres à son petit-fils....

Dans ce texte intime, il relate un voyage qu'il a effectué en Amérique... Cela lui permet d'aller au-delà du Voyage, à proprement dit, pour parler du monde, des "pauvres" sur cette terre, des émigrants qui participent
à la richesse, à la construction des pays d'accueil... mais ils sont le plus souvent les laissés pour compte... Une crise économique survient, des troubles sociaux... et très vite, les mauvais comportements envers "l'Etranger" resurgissent...encore et encore !

"Quand les pauvres n'en peuvent plus, ils prennent des balais qu'ils chevauchent et montent au ciel pour échapper à l'injustice sur terre. C'est ce qu'elle raconte souvent à ses enfants qui ne la croient pas." (p. 33)

Sans être un manifeste, ce texte accompagné de photographies éloquentes dont des clichés de Long Island, et d'autres lieux...est de façon sous-jacente, une réflexion sur les devoirs d'un écrivain, qui ne peut pas rester neutre dans une société remplie d'injustices
criantes et inacceptables!

Je ne peux m'empêcher de me rappeler le texte fabuleux de Jean-Luc Seigle sur Charles Péguy, qu'il a sorti avec bonheur des clichés habituels, et des images
stéréotypées où il se trouvait...

Péguy a écrit, s'est battu, a écrit pour se battre et défendre l'essentiel à ses yeux. Curieusement, nous retrouvons un petit garçon vif, élevé avec amour
par une mère veuve et pauvre, qui rempaillait des chaises pour survivre et élever son fils...
Des échos, des liens résonnent entre les ouvrages de Jean-Luc Seigle, dont les mêmes injustices,
dysfonctionnements de la société... le font sortir de ses gongs et lui font prendre la plume... ! Pour notre immense plaisir et émotions sans partage !!

Je termine cette chronique déjà bien longue par cette dernière citation:

"Au fond, elle n'a rien voulu d'autre dans sa vie qu'inventer le paradis, sans pour autant l'étendre à toute la terre comme sa communiste d'Edmonde le lui avait appris; Reine voulait seulement l'inventer dans
sa maison. Peut-être l'étendre jusqu'au jardin. Ca lui paraissait raisonnable. Plus réalisable que le paradis sur terre." (p. 66)
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