Elle trouvait du réconfort dans ses souvenirs d’Ignacio, dans les détails de sa personne : la tache de naissance sur sa cuisse potelée, ses deux dents naissantes, sa manie d’attraper le manche du balai lorsqu’elle l’avait en mains. Le flux était incontrôlable. Elle repensait à toute ses fois où elle l’avait posé sur le sol malgré ses larmes, car elle avait de la vaisselle à faire et des oignons à émincer, aux fois où ses neuf kilos lui avaient parus trop lourds, où elle n’aspirait qu’à se mouvoir sans entrave, à la liberté de s’affaler sur un canapé avec un verre d’eau fraîche et de rêvasser paresseusement. Elle pensait à ses petits bras tendus vers elle, à sa façon d’appuyer le front contre le sol et de pleurer, théâtral et inconsolable. Ces nuits-là, lorsqu’elle s’abandonnait, elle rêvait de son petit corps blotti contre le sien, moelleux mais tonique, à ce poids qui lui faisait mal aux épaules.
[...] désormais, elle comprenait que l'impossibilité n'était que de l'ignorance voilée par la pauvreté.
[...] n'était il pas déplacé de s' arroger des droits sur un enfant dont la mère biologique était bien vivante ?
Son accent respirait l'instruction, et comme c'était le cas de certains Indiens expatriés, son anglais était si parfait qu'il était à peine compréhensible.
Pour la première fois, elle se mit à observer les enfants. Les bébés. Sa poitrine se serra à leur vue. Elle aurait voulu en tenir un contre son cœur, sentir le poids doux et chaud d’un nouveau-né dans ses bras. Aimer et être aimée. Concocter une vie toute neuve à partir de son propre sang, de son propre corps. Devenir le foyer d’un être, un nid rassurant et doux dans un monde aux contours tranchants.