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Critique de Floyd2408


Une masse critique ondule toujours l'imprévu, une nébuleuse prosaïque se cache souvent dans le tumulte des romans proposés, le regard se pique des titres, des premières de couverture, des résumés, des avis, de tout ce qui peut couronner le livre au rang d'indispensable, cette aventure , cette fois-ci m'arrime vers le silence qui cache la forêt de Marie Sélène aux éditions Gorge Bleue. Oh vertige des sens, la calligraphie de la couverture de Caroline Pageaud, un scintillement de couleur s'échappe d'un embrasement de gouttes d'eau comme un paysage où s'adosse une femme tenant au creux de ces mains une maison, assise en tailleur, cette inconnue médite, serais-je notre héroïne ! Anna voguant vers l'est, une tempête siège cette région, météorologue, cette femme va vers sa destinée au détriment de sa volonté, exécutant une décision professionnelle de sa hiérarchie. C'est le premier roman de Marie Sélène, sa progéniture à la saveur intime de sa propre essence, comme une aquarelle qui déploie ses impressions artistiques chamarrées.
Mon impression première fut enthousiasme, bercé par la houle océanique où Anna murmure avec le vent, sur la pointe du Raz, ce nouvel ami invisible sera son compagnon au fil des années, pour le comprendre, elle deviendra météorologue. Marie Sélène entretisse les voix dans son roman polyphonique, entre la narration des évènements, les lettres de sa famille, ses pensées intimes comme des poèmes, ses méditations lyriques et les dialogues des différents personnages qu'elle va côtoyer, le lecteur va se perdre dans différents chemins, pour cheminer la transformation de l'héroïne du roman, la voir en chrysalide, puis éclore en papillon diurne embrassant la vie de la joie d'aimer.
La paysage est comme un personnage vivant au gré de la météo, deux s'opposent, l'océan et la terre ferme, l'un est source de liberté, l'autre est le malaise, Anna a le mal de terre, elle se sent l'objet de l'autre, cette désagréable sensation s'affronte avec la tranquillité des eaux, habitant un bateau, le Rouge, ce lieu d'habitation est son seul désir de possession, la laissant dans sa solitude celle du Finistère, j'entends au loin Les innocents , ce long fleuve de soupir et ces plages de silence, les mots coulent l'osmose entre Anna et cet océan, Barbe-Brune sera sa quête, un jeu de piste s'installe entre ces deux amis, le vent nommé Barbe-Brune tel un conte , Anna s'enlise dans cet enfance, continue à papoter avec son ami imaginaire, derrière ces 35 ans , Anna oscille dans un univers unique, solitude de la sa famille, elle dit à Loïc, qu'elle n'a plus de famille, elle est hermétique au monde qui l'entoure, Anna est presque Misanthrope, ou juste dans sa coquille , recroquevillée sur elle-même, inerte à l'humain, voguant sur les flots de son inertie, Anna respire l'iode du côté de Brest, sans attache, travaille avec son ami Éole sur les facéties du temps. Strasbourg dans la pénombre d'une zone dépressionnaire, combat la force du vent, les habitants désertent la ville, les commerces sont fermés, Anna pénètre cette zone de turbulence avec pragmatisme, mais se cache au fond de son être ce passé familiale, Anna est originaire de cette région, déjà lors du trajet dans le métro, le prénom de sa Grand-mère, Albane résonne dans un appel du passé, un petit rouage vient de se mettre en mouvement, Marie Sélène anticipe, l'écho de ce prénom, celui d'une petite fille rousse, ravive chez Anna son enfance.
La tempête de l'est, la rapproche de son enfance, de sa grand-mère Albane, Barbe-Brune souffle son bavardage avec Anna, qui hérite de la maison de sa grand-mère, la météorologue va découvrir ces racines, la vie de Jean son arrière-grand-père, dans les dédales de sa maison héritée. le passé de ces aïeux aura des conséquences dans la vie d'Anna, Marie Sélène emporte son héroïne dans une Métamorphose, pas comme celle de Kafka, mais une transformation intérieure, je n'oublie pas un roman de Jérôme Chantreau, Avant que naisse la forêt, son personnage centrale se laisse envahir par les fantômes de la maison de sa mère, comme Anna, au coeur de la tempête, s'enterre dans le silence de cette maison vide, l'atmosphère sombre du passé trouble de cette deuxième guerre s'infiltre dans la chair d'Anna. Cet arbre généalogique lui fait découvrir le prénom de son arrière-grand-mère, Anna, comme le sien et les missives que Jean, au front de la grande guerre, écrivant à son amoureuse. Petit à petit, le caractère d'Anna s'imprègne de tous ces souvenirs enfouit dans des cartons, elle s'invente même une similitude avec Jean, ce Capitaine d'un autre temps, son sang mêlé au sien, cette force qui la pousse à affronter le monde qui l'entoure, Anna glisse petit à petit vers son épanouissement.
Même si l'Anna du début me plait beaucoup plus, et que celle de la fin ne m'enchante guère, la lecture de ce roman m'a donné beaucoup de plaisir, Marie Sélène de ce court roman, 131 pages, explore à travers une intrigue fantastique, le cheminement d'une femme à traverser sa vie, affrontant le passé de ses aïeux. J'aime lorsqu'Anna est aspirée dans les vapeurs de ces pensées, cette parole intime, ce monologue avec son ami imaginaire, ce monde intérieure qui peuple son horizon, et surtout sa naissance à laquelle, elle se sent redevable, mais brise la tradition par cette décision de plus prendre la même que ces ancêtres pour laisser l'Histoire à sa juste place, Anna devient comme elle le dit « une putain de miracle », acceptant le silence et de prendre la plume pour écrire et se libérer de cette emprise d'elle-même, ces chaines brisées, elle va vers le lecteur et vole dans l'atmosphère étoilée d'une nuit Strasbourgeoise avec cet amoureux imaginaire, cristallisant sa réalité d'exciter et de le rencontrer pour se donner à lui.
Comme l'auteur, Marie Sélène, à travers Anna, cite Nietzsche, qui disait du Chaos qu'il fallait le porter en soi pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Anna décide désormais de vivre, d'écrire, d'aimer, il y a beaucoup d'autre chose à raconter sur ce court roman, la voix des hommes qu'elle rencontra, ce bar L'Athanor , au café torréfié cinq minutes de trop, ce lieu lui ouvrant les portes pour partager « le repos du guerrier » de certains hommes , cette phrase, dessine un sourire à mes lèvres, je finirai par les mots de Paul Éluard :
« Tu rêvais d'être libre, et je te continue. »
Un roman à découvrir et lire sans modération, la poésie viendra valser vos émotions dans cette danse à mille temps….
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