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Critique de si-bemol


Antonio José Bolivar, 70 ans ou à peu près au moment où commence cette histoire, quitta un jour - il y a fort longtemps - la pauvreté de sa montagne pour chercher en compagnie de sa jeune épouse un avenir meilleur dans les profondeurs de la forêt amazonienne. Là, il perdit le peu qu'il avait, y compris son épouse, avant d'être sauvé, pris en charge et initié par le peuple originel de la forêt, les indiens Shuars. Auprès d'eux il apprit la chasse, la pêche, les plantes et la survie, il appris les rites et les coutumes sacrés et il apprit, surtout, le respect dû à cette forêt nourricière et dangereuse, majestueuse et sauvage, à sa végétation et à sa faune.

Ayant malheureusement, bien des années plus tard, contrevenu par mégarde à l'un des rites des Shuars, il dut quitter ce peuple plein de connaissances ancestrales et de sagesse pour s'en retourner vers ce qu'il est convenu d'appeler “la civilisation”, son cortège de bêtise et d'ignorance, sa cruauté gratuite et son goût immodéré pour l'enrichissement facile, fût-ce au prix de la destruction des ressources naturelles - illustrant ainsi cette propension ahurissante de l'humanité à scier avec un bel entrain la branche sur laquelle elle est assise.

Et c'est à nouveau la bêtise humaine - et ses conséquences meurtrières - qui va faire sortir notre “vieux” de sa retraite et de la solitude qu'il s'est choisie en compagnie de ses romans d'amour pour lesquels, bizarrement, il a développé une véritable addiction…

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, "Le vieux qui lisait des romans d'amour" n'est pas un hommage à la littérature - et ce d'autant moins que les romans dont il est ici question ne sont rien d'autre que des romances à l'eau de rose dégoulinantes de bons sentiments et pimentées d'inévitables tragédies avant leurs prévisibles “happy end”. Ce dont il s'agit en fait est beaucoup plus important, sérieux et, pour le coup, réellement tragique : l'annihilation progressive des populations indiennes indigènes, l'extermination des espèces animales et la destruction systématique - sous couvert de progrès, de nécessités économiques et de profit immédiat - de la forêt amazonienne.

Ecrit il y a plus de 20 ans en mémoire de son ami Chico Mendès (grand défenseur de la forêt amazonienne et qui le paya de sa vie), traduit dans le monde entier et couronné de nombreux prix, "Le vieux qui lisait des romans d'amour" est un petit texte d'une centaine de pages qui, sous ses allures d'aimable fable, est en réalité un plaidoyer on ne peut plus sérieux pour la protection de la forêt amazonienne et de son peuple autant qu'un cri d'alarme et de colère. Quelques mois après l'embrasement volontaire et cyniquement assumé de cette immense forêt primaire, je relis ce très court roman dont j'avais, comme aujourd'hui, beaucoup apprécié le charme, l'humour, l'écriture et les personnages, et je suis frappée par la triste actualité - plus de 20 ans plus tard - de son message et de son cri.

Il faut croire que les humains, joyeusement suicidaires, n'accordent guère crédit au sérieux de la littérature et que les écrivains - comme les Prophètes des temps bibliques - s'époumonent en vain dans le désert…

[Challenge Multi-Défis 2020]
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