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Critique de isanne


Quand Vikram Seth commence à recueillir les souvenirs et les réflexions de son grand-oncle, il n'a pas encore décidé de ce qui surgira de ces partages, de ce qu'il va faire de cette matière à méditer. Il ne souhaite pas écrire à nouveau sur l'Inde proprement dite, son livre "Un garçon convenable" a été très bien accueilli et il souhaite un sujet un peu différent. S'il écoute son oncle et le sollicite c'est aussi pour motiver celui-ci, veuf, qui quitte tout doucement ce monde, délibérément, parce que sa solitude l'anéantit petit à petit.

Shanti, l'oncle, a brûlé ou donné tout ce qui pouvait lui évoquer son épouse à la mort de celle-ci, il n'était pas assez résistant pour avoir devant les yeux les marques d'une vie appartenant à une femme qu'il avait profondément aimée et dont le départ le laissait désemparé et sans raison de continuer à avancer dans son quotidien déjà ardu.

Aussi Vikram Seth, est-il très étonné quand son père trouve dans un coin obscur du grenier, une malle qui a été oubliée et, qui plus est, remplie de documents que Shanti n'a même jamais tenus dans les mains.

Il écrira l'histoire de ces deux vies, et par là, l'histoire de l'Histoire qui a enserré ces deux existences les jetant dans la tourmente de ces monstrueuses années.


La première partie évoque Shanti, l'oncle et son départ vers l'Europe pour venir apprendre l'art dentaire : imaginez-vous, il ne connaît ni la culture allemande, ni la langue mais arrive dans ce pays bien décidé à obtenir son diplôme.
Il rencontre très vite Henny...
Les années sont bruyantes, agitées, terrifiantes, et en 1936, il quitte l'Allemagne, où de toute façon les lois ne lui permettent pas d'exercer, pour l'Angleterre... le voile noir de la guerre recouvre bientôt la vieille Europe et il se bat, incorporé dans l'armée britannique... Monte-Cassino, Anzio seront ses derniers pas dans ce conflit, il perd un bras et désormais, il peine à croire qu'il va pouvoir exercer son art, ainsi amputé, qu'il va simplement pouvoir survivre...

La seconde partie nous fait accompagner Henny, juive dans cette Allemagne qui rétrécit les libertés pour certains au nom d'une monstrueuse idéologie. Elle quitte en 1938, par chance, ce pays où la peur et la haine règnent désormais pour aller se réfugier en Angleterre, abandonnant derrière elle, sa famille - sa soeur et sa mère - et ses amis aux mâchoires de l'abominable idéologie nazie.



Volontairement, je ne raconte rien, c'est un travail considérable qu'a réalisé Vikram Seth. Avec des documents, épistolaires pour la plupart ou glanés ici où là pour étayer les propos de son oncle, le souvenir de sa tante, des photos, des pages de récits littéraires, il nous raconte la vie de ce jeune indien dont la famille espérait qu'il reviendrait exercer sa profession en Inde pour y fonder un foyer et une famille, et déduit des documents de sa tante, les années allemandes de peur et de discrimination, la difficulté de l'exil quand ceux qui sont chers sont persécutés, et "l'Après", ce qu'il faut taire ou garder dans son intimité pour réussir à vivre tout simplement…

Pour cette partie, on ne peut s'empêcher de penser aux écrits de Charlotte Delbo pour "l'Après" comment vivre à nouveau "normalement" quand tout s'est écroulé, quand l'horreur découverte dépasse toute ce qu'on pouvait imaginer ? Comment taire le chagrin et la douleur qui enveloppent désormais les fondements de l'existence ?

La fin du livre raconte ce couple, ces années à avancer l'un aux côtés de l'autre pour vivre, survivre quand tout entraînerait plutôt vers le repli, le désespoir et l'anéantissement.



C'est difficile de parler de ce livre assez imposant en peu de mots, en voulant ne rien dévoiler pour que la lecture soit captivante pour vous.
Forcément en parler, tout en se taisant, le prive de son essence et l'affadit.

Un livre qui permet d'accompagner deux Cultures dans une tourmente, de comprendre les choix de cet homme et de cette femme, de comprendre leurs états d'esprits, leurs pensées, de souffrir douloureusement avec eux, d'admirer leur volonté à continuer dans un monde qui n'est pas celui de leurs origines. Un livre qui nous dit L Histoire, avec son héroïsme, ses lâchetés, ce contre quoi on ne peut lutter, et au-delà, cette foi en la vie pour désormais faire sien un pays qui n'a pas été choisi comme tel, sachant que ceux qui faisant la trame de l'existence sont loin ou disparus. Comment vivre quand tout ce qui s'est passé est découvert ? Comment accepter d'être encore en vie comme miraculé au lendemain d'une démence inimaginable ?


Vikram Seth qui a vécu, au gré de ses études, chez Shanti et Henny, dit son admiration pour ce deux êtres fracassés par la folie de l'Homme, tout en réfléchissant aux grands événements du siècle, de ce qu'ils impliquent et de l'espoir qu'ils distillent éventuellement.
Force est de constater que l'homme a beaucoup de difficultés à tirer les enseignements de ses actes les plus abjects...
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