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Critique de oblo


Sac au dos et regard fixe, le voyageur continue son chemin. Sa silhouette longiligne écume les routes américaines à la recherche de la source. Quelle source ? Celle de l'immortalité. Des années, des centaines d'années, bientôt des milliers, que le voyageur erre comme cela et, dans ce voyage infini, voilà que Koren Shadmi nous invite à épier sept moments forts de la vie de cet être qui n'a, par définition, plus grand chose d'humain. Chaque épisode, marqué par une empreinte chromatique particulière, se déroule dans une temporalité qui ne nous est pas précisément connue. A peine pouvons-nous deviner que le premier récit se déroule en pleine Seconde guerre mondiale, et qu'un autre se passe aux premières heures de la colonisation britannique des côtes américaines. Pour le reste, Shadmi nous embarque dans le futur, dans des moments affreusement pessimistes.

De ce qui fait le quotidien d'un immortel, des mille et une aventures que le voyageur connaît durant sa vie infinie, nous n'en connaîtrons qu'une infime partie. Sans doute, il y aurait eu là matière à développer davantage ce récit déjà prenant et à densifier, sinon le contexte, au moins la personnalité de cet être qui nous sert de caméra anticipative. Ainsi, à la manière d'un objet inanimé, le voyageur nous permet d'entrevoir une possibilité à venir : pas la plus réjouissante, assurément. Ce que le voyageur nous dit de lui, cela lui est arraché, le mot n'est pas trop fort, par ceux et celles qu'il croise. Car le voyageur est un auto-stoppeur, qui lève le pouce et maudit le plus souvent le hasard. Koren Shadmi, pour nous faire comprendre le monde dans lequel évolue le voyageur, utilise le même schéma narratif : le voyageur est pris en stop ; le dialogue s'instaure entre le voyageur et son conducteur ; de manière récurrente, cette rencontre fortuite tourne mal pour le voyageur qui s'en tire - obligatoirement - au prix de balafres sanguinolentes, d'accidents ou de tueries tragiques. Qui sont ces hommes et ces femmes que croisent le voyageur ? Ni plus ni moins que les représentants de l'humanité : un prêcheur itinérant, des jeunes femmes en quête de sensations fortes, un médecin rétrograde, un livreur désabusé qui livre à de riches clients une marchandise hors de prix et immorale, une jeune gourou prétendant détenir la vérité. D'un bout à l'autre du chemin, il y a d'abord l'innocence, tuée d'un coup de fusil sur une plage déserte, et enfin la Réponse, ou la Vérité, ou encore le Sens de toute cette histoire.

Le voyage a un début, mais a-t-il une fin ? Rien n'est moins sûr, au vu de la dernière planche, qui semble indiquer le début d'un nouveau cycle. Ou plutôt : cela dépend pour qui. le voyageur, lui, possède cette qualité de témoin, unique, d'un monde qui entre dans un bouleversement sans précédent. Sous le coup de l'avidité humaine, de son absurdité aussi, de sa cruauté, enfin, le monde tel que nous le connaissons aujourd'hui disparaît. La Terre se réchauffe, et la société humaine se fractionne et se recroqueville sur elle-même tandis que les comportements individuels atteignent des sommets d'immoralité. Cette immoralité et la toute-puissance de ces bouleversements d'ailleurs, n'apparaissent qu'à travers le regard du voyageur. A cela deux raisons : nous, lecteurs, nous identifions au voyageur, qui semble avoir le même sens moral que nous. D'autre part, le voyageur est héritier d'un système moral importé aux Amériques par les colons, dont il fut l'un des membres.

Avec le voyageur, Koren Shadmi livre un angoissant récit d'anticipation, organisé en une succession d'épisodes qui montrent l'ambition de l'auteur. Il s'agit, ni plus ni moins, d'explorer une possible évolution de notre monde sous ses aspects écologique, sociétal et moral. L'ambition doit être saluée et, d'ailleurs, Koren Shadmi réussit à y répondre, tout en donnant à son récit une ambiance à la fois lumineuse et oppressante. Cependant, le voyageur manque quelque peu de densité et, si l'idée de départ est très bonne et si, aussi, l'explication finale est relativement simple mais cohérente, sans doute a-t-il manqué à son auteur quelques arguments pour parvenir à en faire une vraie référence du genre.
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