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Critique de Krout


Krout
13 septembre 2016
Il s'en passe des choses en Turquie ! Encore ce week-end j'ai vu des images à la T.V. : leur président à la tribune. Mais je n'ai vu que ces grandes bannières descendant du plafond jusqu'au sol. Ces grands drapeaux turques : Rouges Sang. Je ne vois plus qu'eux, que peut valoir un discours devant un mur aux drapeaux rouges flottants ? Et soudain, impérieusement, le passé, d'autres bannières, un autre moustachu, vient se superposer. Pardon, cela n'a rien à voir et pourtant : toujours du sang ! Qu'importe quel génocide, quel massacre, quel viol : oh tout ce sang. Oh l'Histoire, les grandes marches, les déracinements. Honni ! le bannissement !

Alors je lis. Après Neige d'Orhan Pamuk, La Bâtarde d' Istanbul, tant qu'ils sont encore disponibles. Vite. Car je pressens les bûchers, question de temps... Mais là j'écris le futur à la plume du passé, avec plein de mâle ressentiment. C'est pourquoi j'ai tant besoin d'Elif Shafak, de sa clairvoyance, de la tendresse de son regard, de son intelligence du coeur, pour tenter, tenter au moins, d'accepter l'espoir d'une réconciliation. Une écriture envoûtante dont les volutes pourraient donner une petite chance à la paix. A saisir, et se ressaisir d'urgence. Ecoutez ceci : "Il fut et ne fut pas un temps dans un pays pas si lointain où des êtres humains aux manières détestables traversaient une époque difficile." p.276 s'en suit et le précède un lumineux roman.

J'ai jadis croisé un Arménien : je comprends le Hai Dat*. Mais bâtir et faire dépendre son identité d'un tiers c'est aussi entraver sa liberté. Moi je n'ai évidemment aucune légitimité pour le dire, Elif Shafak si. Une famille d'Arméniens émigrée à San Francisco, une famille turque à Istanbul comme deux mains qui s'agitent. Se rejoindront-elles ? Quête d'identité des communautés, des familles et au sein même des familles grâce à la culture et la gastronomie, pour se ressourcer, pour se restaurer. San Francisco, Istanbul manger pour combler la faille ? le mal est profond, le danger est grand, mais quand même partager un repas. Partager le goût ! La gastronomie est un plaisir et une ouverture à l'autre, elle est mémoire des générations passées, elle est omniprésente dans le récit. Saveurs, senteurs, son et toucher Elif Shafak gratifie tous nos sens dans cette magnifique traversée.

Véritable hymne à la tolérance, une invitation au coeur des deux cocons familiaux, une magnifique amitié naissante entre Armanoush et Asya, il y a tout dans ce roman y compris, je le suppose, une bonne part autobiographique dans ce solaire portrait d'une figure féministe Zeliha, merveilleuse de dignité. Mais je tremble pour tous ces écrivains turques qui me semblent aussi fragiles que les verres à thé décrits dans le bouquin. p.319 "C'est juste que je n'avais pas misé lourd sur leur durée de vie. Je trouvais qu'ils se brisaient trop vite. Mais apparemment même les verres à thé peuvent durer pour raconter leur histoire." Puisse cela être vrai et le monde d'Elif Shafak se matérialiser.

En attendant le Bosphore fait le gros dos sous le poids des chalands qui le lui labourent dans une impression de quiétude toute passagère, pour combien de temps ? Alors que le bonheur aussi nous tend les mains et que quelque soit notre identité, nous sommes avant tout humain. Ah que ce roman est juste et fait du bien !

*Lutte pour la reconnaissance du génocide
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