AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"L'encre que je pose
sur la soie ce matin
sent déjà le givre..."
(Shitao)

L'auteur de ces "Propos sur la peinture", moine, peintre et poète Shitao, est né en 1640 en Chine, comme l'un des nobles descendants de la dynastie Ming, alors encore au pouvoir.
Peu après la dynastie est tombée, ses membres en partie assassinés, en partie dispersés par les Mandchous aux quatre coins du pays ; le dernier empereur s'est pendu sur la colline derrière le palais de Pékin. le futur peintre a perdu sa famille, sa carrière, et enfin et surtout son nom, Zhu Ruoji.
Depuis, il en a pris plein d'autres...
Avec son grand frère, il s'est réfugié dans la sécurité relative d'un monastère bouddhiste, pour devenir moine de la secte zen. Mais c'était un garçon sociable qui aimait la vie, étranger à toutes sortes d'ascétisme.
Il disait de lui-même : "l'enseignement ne me parle guère, je ne fais point de quête, je peins et je vends des images".

C'était un drôle de moine.
Il rencontrait sa grande expérience intérieure et son satori dans des paysages à l'encre de Chine, pour les restituer plus tard dans ce traité sur la peinture. Ces textes datent de la période où il se faisait appeler "moine Citrouille-Amère" (il s'agit en fait d'un fruit nommé margose, une sorte de concombre d'un jaune lumineux qui éclate à la maturité pour s'ouvrir sur des graines rouge sang aux multiples vertus, mais très amères). On ne connaît pas leur date exacte (autour de 1670 ?), ils ont été peut-être complétés au fur et à mesure, jusqu'à l'âge avancé de Shitao.
Mais quoi qu'il en soit, ils montrent bien l'état d'esprit de l'art chinois sous l'occupation mandchoue, qui a marqué ledit art de façon considérable.
Etrangement, ces changements étaient très positifs, surtout en ce qui concerne la libre expression artistique et la calligraphie.
Chassés des larges boulevards menant directement à la carrière prévue, les intellectuels chinois étaient forcés de construire de nouveaux chemins là où il n'y en avait pas, ou réparer ceux qui étaient effacés par des années d'oubli. En quittant les codes de la tradition confucianiste, ils se tournent vers le "naturalisme" taoïste et vers l'expérience intérieure du zen. La peinture devient vivante. Ils peuvent délaisser les impératifs imposés de la beauté au profit de la recherche de l'ordre cosmique et de leur propre place dans cet ordre. L'un de ces éternels "retours aux sources", en somme.
Et parmi ces vagabonds cosmiques était aussi Shitao, dont les paysages sont aujourd'hui prisés dans les galeries du monde entier (et que je ne découvre que maintenant, ce qui ne fait que confirmer les dires de la Vénérable Citrouille que la vie est un apprentissage sans fin).

Ces "propos" sont à la fois spirituels et très techniques, même si de nos jours, nous sommes habitués à une toute autre sorte de "manuels" (de préférence illustrés, dont le précurseur est le célèbre Hokusai). La question de la méthode est presque aussi ancienne que l'art lui-même, et pourtant, elle n'a jamais perdu de son actualité. La recherche de la méthode sera toujours "moderne", car même le plus grand des dons ne dispense pas l'artiste du devoir de maîtriser sa technique et de chercher à l'améliorer en permanence. le peintre et moine Shitao aimait par-dessus tout la liberté d'expression et la suprématie des "naturellement doués", mais il n'oublie jamais de rappeler que "la Nature offre à l'homme seulement autant de talent qu'il est prêt à accepter, préparé à cela par son éducation et par sa culture". Il faut dire que sa propre expérience esthétique a grandi sur le terreau frais et particulièrement fertile d'une grande tradition poétique et picturale, sinon elle ne pourrait pas exister.

Le livre contient 18 courts textes divisés en cercles thématiques, et il est accompagné d'un commentaire fourni et formidablement instructif de Simon Leys, pour ceux qui veulent aller plus loin dans la compréhension de la philosophie et des procédés de l'art Made in China sous la dynastie Qing.
5/5, davantage pour cet ensemble réussi que pour le texte seul. Pour paraphraser ce cher moine, lui-même représente le Pinceau, tandis que le traducteur Leys est l'Encre... et grâce à la parfaite harmonie des deux, le livre peut apporter au lecteur le satori espéré.
Commenter  J’apprécie          7820



Ont apprécié cette critique (71)voir plus




{* *}