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Critique de Patsales


j'adore cette auteure. C'est le troisième roman d'elle que je lis et les écrivains capables de creuser leurs obsessions sans se parodier sont rares: Shriver est de ceux-là. Son roman est d'une intelligence inouïe et laisse le lecteur face à ses propres tâtonnements, et ressentant comme rarement que ce roman parle de lui (même s'il n'a aucun mass-murderer parmi ses enfants).
Donc, il faut qu'on parle de Kevin (et qui est ce "on" sinon vous et moi dans ce dialogue que nous ne pouvons pas ne pas entamer avec Eva Khatchadourian?): il faut en parler pour tenter de comprendre comment il en vient à commettre ce crime atroce. de nombreuses pistes nous sont données dans ce roman extrêmement maîtrisé, que nous suivrons - ou non - avec pour seul bréviaire la noirceur, ou la candeur, de notre âme.
Donc Kevin a tué:
- parce qu'il est un monstre, un monstre qu'il faut tenir caché au nom des mythes sur l'enfance: face à lui, Eva est seule. Personne ne lui propose d'aide (pas un seul psy dans cette histoire pourtant américaine! pas un médecin, pas un prof pour proposer un début de solution). Les enfants difficiles sont le problème des mères et d'elles seules. Qu'elles se débrouillent!
- parce que sa mère n'a pas réussi à l'aimer. Eva est un bon petit soldat de la maternité: elle fait tout ce qu'elle est censée faire. Elle refuse la péridurale, met sa carrière entre parenthèses, nourrit son fils de plats maison, veille sur lui du matin au soir... J'ai repensé au "Dieu caché" de Goldmann sur l'essence du tragique racinien: ses héros, loin d'être monstrueux, font de leur mieux mais Dieu se rit de leurs efforts et les condamne... Quoi qu'ils fassent, ils feront mal.
- parce qu'il est américain: pays des armes en vente libre, des psychotropes, des psychopathes adolescents, du laxisme éducatif et des écrans toujours allumés.
- parce qu'Eva est folle: elle s'est convaincue que son fils est un monstre sans le moindre commencement de preuve. L'histoire est racontée par Eva qui prend bien soin de dénigrer toutes les analyses données par son mari du comportement de Kevin. Mais si c'était Franklin qui avait raison? Si nous reprenons toutes les critiques proférées par Eva, il s'agit à chaque fois de reconstruction ou d'extrapolation. Par exemple, elle accuse Kevin d'avoir été l'instigateur de jets de briques en arguant qu'il ne peut avoir en l'occurrence simplement subi l'influence d'un copain, ce dernier étant trop niais pour pouvoir être un meneur. Or, quand Eva surprend une conversation entre Lenny et Kevin, celui-ci dit "Ce coup-là, tu vas le payer (...). Parce que ton numéro à la con aurait pu sérieusement nuire à ma réputation. J'ai des principes. Tout le monde a des principes (...)". Si je ne m'abuse, ces paroles montrent justement que la version donnée par Kevin à son père n'est pas qu'une excuse habile. Donc Eva a créé de toutes pièces ce personnage de monstre froid, n'aimant son fils que malade ou meurtrier (la fin du livre est particulièrement glaçante quand elle annonce qu'elle veut vivre avec Kevin, jeune adulte libéré après sept ans de prison et repartir avec lui sur de nouvelles bases. Après ce qu'il a fait? On se pince pour le croire.). La tuerie tient alors de la prophétie auto-réalisée: comme Sigismond, le héros de "La vie est un songe", enfermé pour ne pas devenir un assassin et le devenant à la minute où il est libéré, Kevin aime assez sa mère pour devenir celui qu'elle veut...
Quelle que soit la raison (et rien n'empêche qu'elles soient toutes justes concomitamment), Lionel Shriver est une moraliste à l'oeil perçant qui nous oblige à affronter notre malheureux tas de petits secrets intimes.
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