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Critique de Woland


Pour quiconque suit ce fil depuis sa création, pour quiconque connaît aussi son Maigret par coeur, une chose est sûre : le commissaire ne peut s'amuser qu'en résolvant une affaire criminelle . Seulement, ici, c'est un peu différent puisqu'il va la résoudre du point de vue, oserai-je, dire du "lecteur de journaux lambda." Pour Simenon, le pari est en effet le suivant : suite à quelques ennuis de santé et surtout à une intense fatigue, provoqués par sa manie de remettre ad vitam aeternam les vacances qui lui sont dues, Maigret obéit pour une fois à son ami, le Dr Pardon (et à Louise Maigret), en acceptant de partir se reposer. Manque de pot : les Maigret s'y prennent si tard dans la saison que tout, absolument tout, y compris aux Sables-d'Olonne, dont ils rêvaient avec une certaine nostalgie, tout est loué, gorgé d'estivants plus prévoyants et qui ont pris d'assaut tous les hôtels valables, et même les autres, depuis le début de l'été. Plus rien ne sera libre avant le 15 août, si ce n'est après.

Les Maigret se rabattent donc sur Paris comme lieu de vacances, une capitale qui, il est vrai et même de nos jours, est relativement vivable au mois d'août. On y respire un peu mieux, il y a bien les touristes mais les Parisiens, eux, ont transhumé, on se sent donc moins à l'étroit même si le Métro sent toujours aussi mauvais, voire plus si la canicule est au rendez-vous. Pendant les trois premiers jours, tout se passe bien. Officiellement, Maigret et sa femme sont aux Sables-d'Olonne et, pour plus de sûreté, ils se sont mis aux abonnés absents - le détail est important, vous le verrez si vous lisez l'ouvrage. On paresse donc un peu au lit, on déjeune, Mme Maigret fait son ménage pendant que son mari descend chercher les journaux et s'installe, pour les lire, à la terrasse d'un bistrot, on déjeune à la maison à midi et, l'après-midi, après une petite sieste, parfois sans, on part visiter un Paris que Simenon restitue toujours de cette façon magistrale que lui inspirait l'amour qu'il portait à la ville et qui, aujourd'hui, nous rend si mélancoliques ...

Et puis, le quatrième jour, alors qu'il lit son journal, Maigret déchiffre à la une l'un de ces meurtres qui ont en général l'habitude de faire parler d'eux : le cadavre, entièrement nu, de l'épouse d'un célèbre médecin mondain a été retrouvé, plié en deux, dans un placard du cabinet médical. le problème, c'est que la dame, outre le fait qu'elle n'aurait pas dû se montrer ainsi en tenue d'Eve dans cette partie du vaste appartement et celui, bien entendu, qu'elle n'avait rien à faire dans un placard à balais, était censée profiter (elle aussi) de ses vacances en famille, à Cannes.

D'abord titillé par une curiosité bien compréhensible, puis soucieux quand il apprend que le juge Coméliau est en charge de l'affaire alors que c'est la première fois que Janvier, qui remplace Maigret, se voit pratiquement tout seul face à une affaire des plus délicates, Maigret dévalise deux fois par jour les kiosques, passe quelques coups de fil à son ami Pardon et, ne voulant pas gêner Janvier et encore moins que celui-ci le suspecte de jalousie dans l'affaire, se décide à user de l'arme fatale de ceux qui, en-dehors des maniaques qui, en pareilles occasions, sautent sur leur écritoire pour assiéger anonymement de leur "aide" et surtout de leurs ragots et de leurs délires personnels policiers et journalistes, sont bel et bien au courant d'un détail important et tiennent à le faire connaître à qui de droit sans que leur nom soit cité.

Oui, notre commissaire divisionnaire préféré et favori s'adonne, en ce volume, au plaisir, contesté et contestable, de la Lettre Anonyme. Mais c'est pour la bonne cause, afin surtout d'orienter Janvier vers certaines directions et d'empêcher Coméliau de provoquer une arrestation qui nuirait à un innocent et laisserait en paix le coupable. Que ne ferait, nous le savons, ce cher juge Coméliau "pour avoir des résultats" ? Wink Avec son ancienneté, sa fausse placidité et son entêtement personnel à le contrarier systématiquement, Maigret peut passer outre les exigences du juge : pas Janvier.

En compagnie de sa femme et arpentant Paris en s'attablant ici et là, non seulement pour lire mais pour passer un ou deux coups de fil judicieux, Maigret passe donc "de l'autre côté", celui du lecteur impatient de suivre dans son journal ce feuilleton réel et palpitant qu'est toute histoire criminelle de cette envergure. Il y prend très vite goût, d'où le titre du roman. Ce n'est guère qu'à la fin qu'il se refait un peu bougon, quand il redoute que Coméliau l'emporte.

Crainte inutile : Janvier arrête le coupable et ses complices au bout d'un long, long interrogatoire avec les bières et les sandwiches habituels. Et la fin du roman nous révèle que, pas un instant, il n'aura été dupe de l'identité de auteur des lettres "anonymes."

Un roman frais et vif, dans lequel le lecteur s'immerge très vite et où, en dépit du tragique assassinat, il s'amuse lui aussi avec le commissaire. L'une des plus parfaites réussites de Simenon qui, ici, n'insiste pas de manière trop vive là où ça fait mal, c'est-à-dire la noirceurs des circonstances qui conduisent à l'assassinat. A lire, sans aucun doute. ;o)
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