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Critique de Henri-l-oiseleur


Claude Simon revient dans le Jardin des Plantes sur un épisode qu'il a vécu et fréquemment évoqué, de la débâcle de mai 1940. Mais il évite tout effet lassant de répétition, car le style et la qualité du regard de ce roman de 1997 renouvellent les événements, qui ne paraissent jamais les mêmes d'un livre à l'autre. La splendeur et la minutie des descriptions révèlent le monde concret, infiniment varié, toujours foisonnant et surabondant. Donc Mai 1940, les séquences de la guerre d'Espagne, les rappels de Paris sous l'Occupation, etc, ne sont jamais les mêmes car le romancier les aborde toujours sous un angle différent.

Cette écriture proche de la peinture repose sur un procédé simple et puissant, qui consiste à éviter les noms propres, et à les remplacer par des périphrases descriptives. C'est particulièrement frappant dans les descriptions de villes, New-York, Rome, Delhi, Stockholm, ou les portraits de personnages historiques comme Churchill ou Gorbatchev. Eviter le nom, c'est donner libre cours à la variété descriptive des périphrases concrètes, qui nous aide à voir la ville ou le personnage comme si c'était la première fois, sans le filtre d'une connaissance préalable. Car le nom propre remplace la perception, la forme, la couleur, par l'idée préconçue et souvent banale. Ainsi Claude Simon rend-il au regard du lecteur toute son innocence, à l'école de Proust.

La composition du roman est, elle aussi, proche de la sensation. On évite le commentaire, la référence commune, ce qui déroute le lecteur, surtout dans les premières pages. Puis il comprend les relations qui se tissent entre les diverses parties, les divers blocs de texte, par analogies, "rimes narratives", reprises et échos. Pour prendre, entre mille, deux exemples de "rimes narratives", on peut citer l'usage que fait le romancier du nom du peintre Poussin (p. 287), qui permet d'associer le récit d'une visite à l'Ermitage et une citation de Proust qui ne parle en fait que du Temps. Ou encore, la description des premières îles de l'archipel japonais vues d'avion (p. 305), associée à la forme particulière des huîtres que l'on sert dans ce pays, rappelle la forme des seins de femmes peints par Gastone Novelli, peintre fictif présent dans le roman, lequel se souvient des seins des femmes d'une tribu amazonienne qui l'avait accueilli. Et si l'on poursuit encore l'enquête, de rime en rime, on se rend compte que le texte romanesque est marqué par une unité profonde, sous son apparent désordre. L'unité est celle des formes, des couleurs, des sensations, non des idées. C'est pictural.

Le roman de ce très grand artiste se distingue par des traits que je n'ai pas rencontrés jusque-là dans les autres (mais je n'ai pas tout lu) : d'abord, l'élargissement du cadre à la planète entière, du Kazakhstan à l'Inde et aux Etats-Unis. La prise en compte, ensuite, du Prix Nobel et des honneurs décernés ensuite à l'auteur : de nombreux colloques, voyages, cérémonies, interviews, sont présents dans le roman, sous la forme toujours neuve que son regard de peintre, attentif au concret, ironique, leur confère. Une présence plus nette des femmes et de la sexualité. Enfin, le débat littéraire sur le Nouveau Roman et la référence, est inclus dans le roman, qui réfléchit sur lui-même. Ce n'est pas la seule dette de Claude Simon envers Proust.

Il n'est pas mauvais de se laisser dépasser un peu par un grand livre, dont le foisonnement se manifeste à la variété des études parues, qui n'en épuisent jamais la matière. Une littérature trop étroitement ciblée sur un public rare et culturellement pauvre, issu du désastre scolaire, se condamne au conformisme et à l'indigence. On s'habitue à ne trouver dans ces produits que ce qu'on attend, et l'on s'indigne d'être bousculé, dépassé, baladé vers d'autres horizons, par des livres plus grands, plus beaux et plus profonds, comme celui-ci.
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