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Critique de Mimeko


Souvent encouragés par des compatriotes déjà installés, c'est avec confiance que de nombreux émigrés d'Europe de l'Est entreprennent le voyage vers l'Amérique et ses espoirs de vie meilleure. Polonais, tchèques, slovaques ou lituaniens, ils constituent une force de travail taillable et corvéable à merci, motivée et fragile, ne connaissant ni la langue ni le fonctionnement de leur pays d'accueil.
Jurgis, lituanien, une force de la nature, tente l'aventure avec une partie de sa famille et celle de sa fiancée. Ils y retrouvent Jakobus un compatriote, installé depuis une dizaine d'années à Chicago, alors plaque tournante de l'industrie de la viande qui les oriente vers les abattoirs. Forts de leur détermination, de leur rêve et de leur courage, les adultes trouvent des emplois dans ce qui constituent un ensemble quasi industrialisé, organisé dès l'arrivée du bétail par train, du parcage à l'abattage, la découpe, en passant par le traitement des déchets en engrais ou l'emballage des jambons et la fabrication de saucisses, le traitement des peaux. Mais la mainmise des industriels du secteur ne s'arrête pas là, ils ont également des intérêts dans les constructions, des maisons bâties à la va-vite, louées à prix d'or ou vendues à des conditions malhonnêtes, assorties de contrats de financement que les émigrés, ne sachant ni lire ni écrire l'anglais, signent en toute confiance. C'est le début de l'engrenage infernal, de courses aux boulots de plus en plus inhumains pour payer les dettes, dans des conditions de vie misérable, dans le froid ou la canicule et qui, dès la première blessure, précipite la famille dans la misère.

Je pensais avoir lu le pire de la misère avec le peuple d'en bas ( le peuple de l'abîme ) de Jack London, mais avec La jungle, c'est le summum de l'horreur, un enfer dantesque pour les hommes vivant ou plutôt survivant, dans des conditions de vie effroyables subissant des pratiques mafieuses et monstrueuses des propriétaires, privilégiant le profit au détriment des conditions sanitaires, multipliant les fraudes organisées et couvertes par la justice locale qui ferme les yeux.
La jungle c'est l'épopée de Jurgis,un immigré lituanien pris dans l'étau d'un système industriel monstrueux qui broient le bétail autant que les hommes...un système destiné à entretenir la concurrence entre les ouvriers pour favoriser les baisses de salaires, créer une dépendance financière et matérielle des employés, générant des dettes qui finissent par jeter les pauvres dans les rues ou les femmes qui n'ont d'autre choix que de se prostituer dans des maisons closes, des enfants envoyés au travail dès dix ans pour des salaires de misère, le tout sous l'oeil indifférent des juges et de la police, souvent acoquinés ou soudoyés par les responsables du Trust de la viande. Au delà de l'épopée tragique c'est également la construction de la conscience politique d'un homme face à un système qui lamine, un homme qui, grâce à son engagement politique, finira par comprendre les rouages et l'enchaînement inexorable qui précipite la classe ouvrière dans une telle misère.
Dans La jungle publié en 1906, Upton Sinclair décrit, après avoir enquêté sur le terrain, le non-respect des règles d'hygiène sanitaire et dénonce les infractions sur le droit du travail. Cette tragédie dantesque lui permet de diffuser ses idées socialistes, et, malgré la réluctance de Théodore Roosevelt pour le socialisme, conduira après un scandale retentissant, à l'adoption de réglementations sanitaires - loi sur l'inspection des viandes et de la loi sur la qualité des aliments et des médicaments en 1906 et des réformes du droit du travail.
Un roman magistral et terrible, entre Zola et Dante.
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