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Critique de GeorgesSmiley


Pétrole ! Que voilà un beau titre pour illustrer le rêve américain, celui qui fait passer le personnage central du début, d'un statut de charretier à celui de magnat du pétrole. Papa, c'est ainsi que le narrateur le nomme, n'a pas réussi par hasard mais à force de travail, de travail bien fait (très bien fait, mieux que les autres), d'intuition et de jugement sûr. Bien sûr, il fait aussi preuve d'opportunisme, nullement freiné par les lourdeurs de l'administration qu'il règle (dans tous les sens du terme) à son avantage, tandis qu'il laisse beaucoup de monde au bord du chemin sans trop de scrupules.
Et quel est donc le rêve d'un Papa qui a réussi ? Eduquer, former et transmettre tout son savoir et son expérience à son fils, bien sûr ; un fils appelé à lui succéder et à continuer la saga en pérennisant l'oeuvre d'une vie. Ca tombe bien car le gentil « Bunny » est un bon fils, désireux d'écouter et de faire plaisir à son paternel. L'ennui c'est qu'avec ce genre de scénario bien lisse on fait rarement un bon roman. Alors, comme c'est un bon roman (évacuons ce suspens d'entrée), disons que le gentil fiston est tellement gentil et attentionné qu'il va s'intéresser également au sort des ouvriers de son père, allant jusqu'à se lier avec certains d'entre eux tout en fréquentant la très bonne société (entendre les gens riches) pétrolière et cinématographique de la cité des anges. Si on ajoute qu'un des ouvriers qu'il admire énormément adhère au jeune parti communiste puis devient l'un des leaders de la grève qui paralyse les puits de pétrole de Papounet, on comprend que le tiraillement qui s'empare du gentil Bunny va mettre du piquant dans le roman. On peut reprocher (c'est assez facile aujourd'hui) un certain angélisme (Sinclair était socialiste et militait y compris dans ses romans) vis-à-vis de la Troisième Internationale et de la naissante Union soviétique mais reconnaissons que le personnage de Papa le pétrolier est loin d'être caricatural. Ce n'est pas un salaud. Un cynique oui, mais quand son fils lui demande d'aider tel ou tel de ses employés ou d'en faire sortir un autre de prison, il s'exécute de bonne grâce. de nos jours, on dirait que c'est un bon père et un patron paternaliste. Ne lui en demandons pas plus.
Il n'en demeure pas moins que tous les aspects de ce roman, écrit il y a presque un siècle, restent d'une étonnante actualité. On y découvre, extrêmement bien décrites, les coulisses des débuts de l'exploitation pétrolière, celle des petits derricks couvrant une colline, des méthodes d'extraction, des accidents de chantier ou des méthodes employées par les exploitants pour racheter les terrains à leurs propriétaires, sans que soient omises les querelles et mesquineries avides de ces derniers. On découvre l'ampleur et tous les mécanismes de la corruption. Méthodes et justifications psychologiques à tous les niveaux, du plus modeste jusqu'à l'occupant de la Maison blanche, n'ont pas pris une ride. Même chose pour la critique en creux des universités, déjà à l'époque plus préoccupées de s'arracher par tous les moyens les meilleurs jeunes athlètes du pays que d'instruire réellement leurs étudiants. Quant à Hollywood, à travers son inculture, son microcosme et ses promotions canapés, sa description n'a nul besoin d'injection de Botox pour ressembler à celle d'aujourd'hui. Et que dire du personnage d'évangéliste autoproclamé, faiseur de miracles « arrangés » et de fortune dissimulée ? N'y aurait-il plus aujourd'hui, là-bas mais ici aussi, de ces prédicateurs prêchant l'amour ou la haine, mais toujours pour leur paroisse.
Et à bien y réfléchir, Bunny lui-même le gentil milliardaire de gauche, n'est-il pas l'archétype de nos bobos gauchistes et de notre « gauche caviar » faisant le grand écart entre ses « fêtes » et ses bonnes oeuvres ? Qui sont donc aujourd'hui les Harding et les Coolidge (respectivement les 29ème et 30ème présidents des USA) élus, selon Sinclair, par les milliardaires pour les servir ?
Il me semble bien que ce livre est toujours d'actualité. L'histoire est agréable à lire, le ton légèrement ironique est plaisant, alors faites le plein et foncez !
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