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Critique de Tachan


Décidément plus je découvre le Label 619 chez Rue de Sèvres, plus je trouve de titres qui me correspondent. Ici avec une histoire complète en un volume signée entièrement de la main de Guillaume Singelin, j'ai retrouvé une SF futuriste et humaine, contemplative et réflexive, comme j'en trouve rarement, avec en prime un univers graphique des plus séduisant et apaisant.

La SF et moi, c'est une longue histoire d'amour, je crois que mes chroniques ici en témoignent. J'aime à peu près tous les genres qu'on peut y trouver et je l'expérimente aussi sous toutes ses formes : films, séries, romans, mangas, albums, documentaires, BDs. Beaucoup me poussent à réfléchir sur différents aspects de notre futur et de notre présent mais peu ont vraiment ce sentiment de réalisme que j'ai trouvé ici et peu ont un univers graphique aussi doux et apaisant tout en me grattant là où ça fait mal. C'est simple, je n'avais pas retrouvé cette ambiance depuis le superbe Cité Saturne d'Hisae Iwaoka et les textes de Becky Chambers.

Guillaume Singelin signe ici une oeuvre complète qu'il a laissé maturé pendant plus de 10 ans avant de nous la livrer ici sous cette forme. Il nous en livre d'ailleurs une partie des coulisses dans les cahiers de croquis qui clôturent le tome et nous montre les orientations auxquelles il a pensé au fil du temps, les conservant ou les abandonnant. Cette oeuvre est donc quelque chose de très important pour lui et cela s'en ressent à la lecture.

Nous allons suivre pendant près de 200 pages, une scientifique Ji-soo frustrée de ce que les grandes sociétés vont faire de ses inventions et recherches, qui va donc se laisser porter d'un poste à l'autre tout en contestant à chaque fois l'ordre établi et lui mettant des bâtons dans les roues, mais avec une certaine résignation. Dans cette atmosphère un peu lénifiante et pleine d'apathie, quelque chose va tout de même naître au fil des rencontres de celle-ci avec d'autres êtres qui eux aussi ont quelque chose à dire contre l'ordre établi.

Frontier c'est une vaste aventure humaine qui nous amène loin dans l'espace. Aux côtés de Ji-soo nous allons voyager, réfléchir et aimer, car si réflexions il y a sur notre mode de vie, mode d'exploitation, mode de raisonnement, il y a aussi beaucoup d'amour et de sentiments dans cet album. On le ressent dès les premières pages à travers le trait fort singulier de l'auteur et son rapport aux couleurs. Il nous livre en effet, des propos souvent très durs sur l'évolution de notre société mais sous un trait tout rond et tout mignon qui interpelle. Il nous montre ce que l'humanité peut faire de pire par désir de conquête et d'enrichissement personnel et pourtant il capture cela dans une palette lumineuse et rayonnante, rappelant les rêves de barbe-à-papa qu'on fait enfant. C'est très singulier.

Mais on prend vraiment plaisir à accompagner Jin-soo au cours de ce chemin de vie qu'elle entreprend pour réaliser ce qui compte avant tout pour elle. C'est d'une grande douceur qui contraste avec la brutalité de la société autour d'elle et cette dichotomie va nous accompagner tout du long. le rythme est lent et presque contemplatif et pourtant les scènes sont d'une rare violence. On passe d'un projet volé à sa créatrice, à une expulsion de la Terre, puis une vie très frugale en apesanteur et surtout très anxiogène quand on voit le taux de mortalité. Les conflits sont légion pour s'approprier telles ou telles ressources et les humains semblent n'être que des pions. Malgré tout, l'héroïne survit et fait des rencontres. Celles-ci sont ce qui animera cette lecture, que ce soit le réparateur Alex, le petit singe trop mignon Goku, la forte tête Camina, une mercenaire, ou les équipages des vaisseaux sur lesquels ils vont passer et vivre. Chacun apportera sa pierre à l'édifice de la réflexion intérieure spontanée de l'héroïne.

J'ai beaucoup aimé le côté fort réaliste du cadre spatial de ce space opera. L'auteur nous croque une vie en station orbitale, puis en navette, vaisseau ou sur une planète en partie hostile, plus vraie que nature. C'est à la fois banal et palpitant. On suit à la fois leur quotidien et leurs aventures. On découvre par le menu la vie à bord, avec les couchettes, les douches, les réfectoires, les "jardins", les lieux de détente, les locaux pour travailler. On discute aussi des idéologies de chacun en ce qui concerne la vie dans l'espace et ce qu'on en attend en matière d'humanité et de rapport à la nature. On voit combien c'est dur pour chacun de s'habituer à un nouvel environnement pour qui est né sur Terre ou qui est né dans l'espace. Toutes ces petites choses qui font que nous sommes dans un univers riche, pensé et cohérent, qui l'air de rien a quelque chose à raconter.

J'ai beaucoup aimé pour ma part ce tranche de vie spatial aventureux et philosophique où la vie dans toutes son altérité et sa variété à son importance. J'ai aimé que l'auteur prenne son temps et nous prenne par la main pour nous accompagner et nous amener à cheminer avec son héroïne. J'ai été touchée par les interactions qui se sont nouées notamment entre Alex, Jin-Soo et Goku, le singe. J'ai surtout été totalement charmé par l'ambiance hors du temps des dessins, leur rondeur et la beauté de leur mise en couleur avec ses couleurs si merveilleuses. Alors oui, parfois les planches sont un peu denses ce qui freine la fluidité de lecture et rend même graphiquement l'ensemble surchargé, mais ça correspond bien aussi à cette vie dans l'espace où chaque espace compte et à l'esprit de l'homme qui n'a pas encore appris à faire le tri pour ne garder que l'essentiel, ce qui allégerait l'espace. Il est encore en transition comme nous.

Frontier fut donc une expérience des plus singulière qui m'a fascinée, charmée, touchée et fait réfléchir à l'image de son héroïne aux côtés de qui ont grandi également au fil de ses aventures et rencontres pour finir par atteindre une certaine sérénité dans ce monde fou qui l'entoure et qu'on connaît si bien, pas qu'elle soit sans combat, mais elle a compris qu'il y a peut-être une autre voie que l'agitation pour lutter. Frontier se révèle donc comme les textes de Becky Chambers et le manga d'Hisae Iwaoka une SF apaisante et positive qui fait extrêmement de bien.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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