AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Alzie


Un des derniers grands écrivains de langue yiddish, Isaac Bashevis Singer a reçu le prix Nobel de littérature en 1978. Tout est autobiographique dans ce livre qui est pourtant un véritable roman : celui de son enfance en Pologne, que Singer – né à Leoncin en 1904, arrivé à Varsovie à l'âge de quatre ans après une étape à Radzymin – fait revivre ici, puisant aux sources de ses souvenirs ; roman surtout de la rue krochmalna et de la communauté juive hassidique de Varsovie, du début du XXe siècle jusqu'à la fin de la première guerre mondiale ; chronique d'une « justice de paix » (j'emprunte la formule, très juste, à Jeanparapluie) incroyablement vivante, souvent cocasse mais un brin corrosive également, restituée par la force candide d'un regard d'enfant voyant arbitrer son père, puis par celui plus averti d'un adolescent qui s'ouvre au monde et à la vie.

Comment ne pas s'attacher immédiatement à ce petit garçon timide en papillotes rousses et caftan rapiécé qui s'instruit autant en écoutant aux portes qu'en potassant la Mishnah et la Guemarah ? Que son édification religieuse destinait par tradition au rabbinat et que sa curiosité instinctive va conduire au-delà du Talmud vers d'autres lectures plus profanes et, peu à peu, à l'écriture. Tel est le fil conducteur tissé dans cette multitude de récits minuscules mais édifiants.

10, rue Krochmalna où la famille est installée, le rabbin, son père, homme d'études observateur scrupuleux de la Loi et arbitre d'une justice humaine au Beth Din, et la rebbetzin, sa mère, accueillent toutes les petites et grandes misères de leurs coreligionnaires et partagent tous leurs secrets. le rabbin traite conflits et querelles de la vie ordinaire comme les sujets plus graves et son fils est non seulement le témoin privilégié de tous les arrangements, de toutes les cérémonies, de tous les rituels religieux - de la naissance jusqu'à la mort - mais surtout le spectateur fasciné du théâtre de toutes les folies, extravagances, bontés ou mesquineries que l'humanité est capable d'inventer.

Mais où est Dieu s'inquiète l'enfant ? Il est omniprésent, jusque dans la moindre parcelle de poussière, lui répond son père... Dieu, patrie possible pour ceux que le sentiment d'exil habite depuis toujours ? Le rabbin s' oppose aux idées nouvelles (sionisme, socialisme) et s'irrite de la "corruption" qui ne cesse de gagner les esprits et les moeurs. Mais, acquis aux idées progressistes, son fils aîné, Israël Joshua, attiré d'abord par la peinture devient journaliste et va jouer un rôle important, voire décisif, dans l'évolution du jeune Isaac.

Pathos et nostalgie tenus à distance, l'humour et le talent de conteur de Singer, son style d'une belle et sobre simplicité, la qualité extraordinairement évocatrice du texte, suffisent à plonger le lecteur avec délectation dans cet univers rabbinique unique - une vraie découverte -, et celui, industrieux et modeste, des artisans et des boutiquiers d'une Varsovie entièrement disparue où se côtoient, en polonais, yiddish et russe, sans se fréquenter pour autant, les juifs et les chrétiens quand caracolent encore, à travers les rues, les cosaques du Tzar.

Il y a plus : l'empathie qui s'établit spontanément avec l'enfant, met presque le lecteur dans la position de complice, l'oreille collée derrière la porte en sa compagnie pour surprendre ou tenter de deviner, avec lui, les secrets des adultes. Un art de l'auteur à faire resurgir des réminiscences lointaines appartenant sans doute au fonds commun de l'enfance. Devenu porteur d'échos au fil des pages, Isaac Singer se fait ainsi le messager plus universel des quêtes de tous ceux qui, pour prendre leur envol, doivent s'affranchir un jour d'une forte tradition. Le vent de l'histoire rend ce livre encore plus bouleversant dans son dernier quart, lorsque le coup de feu anarchiste tiré à sarajevo, le 28 juin 1914, annonce manifestement la fin d'une époque pour toute une communauté alors que débute dans la vie un jeune écrivain exceptionnel. Magnifique.

Commenter  J’apprécie          240



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}