La mère était en état de choc. C'est ce qu'ont dit les pompiers, ce qu'ont répété les policiers, ce qu'ont écrit les journalistes.
La vie est devenue une succession de tâches d'engagements à remplir, de rendez-vous à ne pas manquer. Myriam et Paul sont débordés. Il s'aiment à le répéter comme si cet épuisement était le signe avant-coureur de la réussite. Leur vie déborde, il y a à peine la place pour le sommeil, aucune pour la contemplation. Ils courent d'un lieu à un autre, changent de chaussures dans les taxis, prennent des verres avec des gens important pour leur carrières.
On a installé Louise dans le fond de la salle..à côté d'un homme que, ce matin, Wafa lui a présenté....Wafa a fait exprès de l'asseoir à côté de lui. C'est le genre d'homme qu'elle mérite. Le type dont personne ne veut mais que Louise prend, elle, comme elle prend les vieux vêtements, les magazines déjà lus auxquels manquent des pages et même des gaufres entamées par les enfants.
Son coeur s'est endurci. Les années l'ont recouvert d'une écorce épaisse et froide et elle l'entend à peine battre. Elle doit admettre qu'elle ne sait plus aimer. Elle a épuisé tout ce que son coeur contenait de tendresse, ses mains n'ont plus rien à frôler.
Mila, alors, cherche en vain. Elle sanglote et Louise se fige. Le désespoir de l'enfant ne la fait pas plier.
Les squares, les après-midi d'hiver, sont hantés par les vagabonds, les clochards, les chômeurs et les vieux, les malades, les errants, les précaires. Ceux qui ne travaillent pas, ceux qui ne produisent rien. Ceux qui ne font pas d'argent. Au printemps, bien sûr, les amoureux reviennent, les couples clandestins trouvent un domicile sous les tilleuls, dans les alcôves fleuries, les touristes photographient les statues. L'hiver c'est autre chose.
Le destin est vicieux comme un reptile, il s'arrange toujours pour nous pousser du mauvais côté de la rampe.
Mais Louise a soulevé sa valise, elle a fermé la porte à double tour et elle est partie, abandonnant dans le hall de la petite maison les cartons de souvenirs, les vêtements de sa fille et les combines de son mari.
On se sent seul auprès des enfants. Ils se fichent des contours de notre monde. Ils en deviennent la dureté, la noirceur mais n'en veulent rien savoir. Louise leur parer et ils détournent la tête. Elle leur tient les mains, se met à leur hauteur mais déjà ils regardent ailleurs, ils ont vu quelque chose. Ils ont trouvé un jeu qui les excuse de ne pas entendre. Ils ne font pas semblant de plaindre les malheureux.
Mais dans quel lac noir, dans quelle forêt profonde est-elle allée pêcher ces contes cruels où les gentils meurent à la fin, non sans avoir sauvé le monde?