Son mascara noir, dont elle applique au moins trois couches épaisses, lui fait un regard de poupée ébahie. Et puis il y a ses mains, douces et qui sentent les fleurs. Ses mains sur lesquelles jamais le vernis ne s'écaille.
Nous ne serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n'aurons plus besoin les uns des autres. Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous appartienne, qui ne regarde pas les autres. Quand nous serons libre.
On lui a toujours dit que les enfants n’étaient qu'un bonheur éphémère, une vision furtive, une impatience. Une éternelle métamorphose. Des visages ronds qui s'imprègnent de gravité sans qu'on s'en soit rendu compte.
Elles se retrouvent de plus en plus rarement ensemble dans la même pièce et exécutent une savante chorégraphie de l'évitement.
Louise est un soldat. Elle avance coûte que coûte, comme une bête, comme un chien à qui de méchants enfants auraient brisés les pattes.
Elle ressentait chaque jour un peu plus le besoin de marcher seule, et avait envie de hurler comme une folle dans la rue." Ils me dévorent vivante" se disait-elle parfois.
Elle (la nounou) observe chaque pièce avec l'aplomb d'un général devant une terre à conquérir... L'appartement silencieux est tout entier sous son joug comme un ennemi qui aurait demandé grâce.
Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu’il n’avait pas souffert. On l’a couché dans une housse grise et on a fait glisser la fermeture éclair sur le corps désarticulé qui flottait au milieu des jouets.
On se sent seul auprès des enfants. Ils se fichent des contours de notre monde. Ils en devinent la dureté, la noirceur mais n'en veulent rien savoir. Louise leur parle et ils détournent la tête. Elle leur tient les mains, se met à leur hauteur, mais déjà ils regardent ailleurs, ils ont vu quelque chose. Ils ont trouvé un jeu qui les excuse de ne pas entendre. Ils ne font pas semblant de plaindre les malheureux.
On la regarde et on ne la voit pas. Elle est une présence intime, jamais familière.