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Critique de Chri


Sloterdijk ne fait pas mystère de sa préoccupation en s'aventurant dans sa révision de l'histoire : « ce que le temps présent perçoit comme une crise des solidarités dans la société et comme un affaissement du lien social ». Ce n'est encore qu'un sentiment, mais il est déjà teinté de regret : celui du « naufrage de la métaphysique de la collaboration » au terme d'un bimillénaire de la pensée européenne de la « monosphère ou du globe intégral ». Il faut comprendre qu'on parle du naufrage du christianisme, et au-delà, « du rejet de la pensée contemporaine de l'Un-et-Tout du projet de monde monothéiste et métaphysique »

En faisant la peinture d'un naufrage, nous serions préparé à sentir le temps présent et à activer l'imagination à partir d'une page blanche, sous le signe de la globalisation, au degré zéro d'une société individualiste, comme « l'intégrale de tous les isolements », « l'accumulation de points excentriques auto référentiels ». Nous serions en présence d'Une page blanche et d'un Tout individualiste et désenchanté, qui rappelle ironiquement une survivance de la pensée de l'Un-et-Tout. En adoptant volontiers le mode de la « parodie sérieuse », ce livre provoque inévitablement une lecture ironique, qu'il faut dépasser, de même que les regrets, par un nouveau questionnement.

Philosophiquement, il s'agit de penser l'espace humain partagé, en y observant ses formes et ses métamorphoses. En premier lieu, au niveau du psychisme, nous avons la constitution de bulles bi-unitaires, c'est-à-dire d'existences complétées. Puis vient la constitution du globe ou macrosphère qui est précisément le thème de ce livre. Enfin, nous arrivons à la forme ouverte, indéterminée de l'espace présent. En résumé, ce livre intervient au centre d'un ensemble bien tissé assez fascinant, qu'est la trilogie des sphères : Bulles, Globe, Écume.

Le contraste est saisissant entre l'image de Atlas, portant le monde sur son dos, et d'autre part, les représentations monothéistes. En regardant de plus près, on trouve déjà avec Parménide, l'idée de l'homme existant comme un épicentre de l'absolu, se sachant « insufflé et affecté par les prétentions d'un centre suprême, sans pouvoir se confondre avec ce dernier. ». Mais l'auteur souligne la voie de Parménide, plus généralement pour sa fécondité, « parce qu'elle peut être menée par l'intérieur de la relation humaine à soi ».

C'est ainsi que la trilogie des sphères déploie une de ses thèses principales : « L'intimité mère-enfant est ainsi transposée sur une scène de l'Histoire Sainte, et la grossesse mariale devient un acte de l'absolu passant par l'utérus de la femme. ». Autrement dit, « le transfert suprême du psychisme vers le cosmique a réussi ». Or, dès le tome 1, Bulles, on peut sentir les prémisses du naufrage, dans le principe de la Trinité, comme norme et fantasme d'inséparabilité. Dans le tome 2, Globe, c'est « le fait psychique, dans son extension obstinée » , qui devra être à nouveau questionné dans « la pensée du futur ».

« Dieu est mort », et ce livre accuse « la fureur infinitiste ». « Ce sont les théologiens les plus intelligents qui ont tué Dieu, lorsqu'ils n'ont plus été en mesure de s'empêcher de le penser comme l'actuellement et extensivement infini. ». Échantillon extrait du « Liber XXIV philosophorum  » : « Dieu est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». C'est en fait, plus généralement, la pensée métaphysique qui est visée jusque dans ses variations contemporaines post-structuralistes...affaire à suivre. Il faudrait donc penser « un monde fini, inachevé », et « acquérir une nouvelle configuration des immunités humaines », mais ce livre ne laisse pas sentir une réelle dynamique.

« Le mausolée de l'idée de l'unité du Tout » , que constitue ce livre, semble, en revanche, avoir capté toute l'imagination de son concepteur, pour sélectionner et assembler judicieusement les pièces à exposer derrière la porte de verre. Il faut reconnaître l'art et l'érudition à l'oeuvre, mais l'ensemble me fait plutôt l'effet d'un contorsionnisme ou d'un assemblage à coups de marteau, un peu à la manière de Foucault avec son concept d'episteme dans les Mots et les Choses.

Dans le détail, on retrouve des théories exposées comme celle de René Girard où la violence rituelle entre dans le cadre de « fonctions civilisatrices ». Or, ce genre de fonctionnalisme, qui revient à plusieurs reprises, manifeste l'amour pour un monde parachevé, contraire à la pensée d'un monde « inachevé ». Si ce genre de détail rentre donc dans le cadre du Mausolée de la métaphysique, en revanche, il ne ne contribue pas au projet d'en sortir, ce qui finit par être lassant.

Écume, le 3ème tome de la trilogie, est maintenant en vue.
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