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Critique de Yaena


Après ma période vampire, j'ai ma période sorcière. Et dites donc qu'est ce que j'en apprends des choses ! D'autant que La sorcière de Limbricht est un roman tiré d'une histoire vraie, celle de Entgen Luijten qui fut accusée de sorcellerie en 1674, une accusation floue quand on y pense. de quoi pouvait-on accuser ces femmes ? Et bien principalement d'avoir dansé au Sabbat avec d'autres sorcières en compagnie du Diable, et même d'avoir forniqué avec lui tant qu'à faire, d'avoir causé du tort aux voisins en tuant leurs vaches en les farcissant de vermine, de chauves souris et de serpents (étrange comme recette de cuisine) et, pourquoi pas au point où on en est, d'avoir fait de mauvaises récoltes ou d'avoir un mioche idiot. Bref tout et n'importe quoi.

Et comment on le prouve ? La sorcière porte la marque du Diable pardi ! Autant vous dire qu'à ce stade on est mal barré parce que tout le monde a ce genre de tâche ! Heureusement l'inquisition donc l'Église fait ça sérieusement il faut aussi des aveux… obtenus sous la torture. On est sauvé ! Une procédure judiciaire menée en grande pompe et des accusations impressionnantes qui ne sont en fait qu'un théâtre pour se donner une contenance. de la poudre aux yeux. Les accusateurs et les juges n'ont pas le courage de leurs actes, s'ils condamnent ces femmes c'est pour ce qu'elles sont, tout le reste n'est que mensonge.

Susan SMIT remet les pendules à l'heure et réhabilite les sorcières en leur rendant leur vrai visage. Être sorcière c'est être une femme seule qui se débrouille sans homme, souvent veuve, c'est être proche de la nature et savoir utiliser les ressources qu'elle offre pour apaiser les maux et guérir les petits bobos. Être sorcière c'est apprendre à observer la nature et les animaux pour mieux en tirer des conclusions utiles et améliorer sa récolte et son potager, la santé de son cheptel ou celui de ses arbres fruitiers. Être sorcière c'est avoir du caractère, s'affirmer, refuser la domination, se rebeller. Être sorcière c'est exister en tant que femme et non vivoter en tant que sexe faible.

Dans La chambre des Diablesses, Isabelle DUQUESNOY nous parlait de la Voisin, une sorcière qui a sombré dans l'ésotérisme, qui a fini par se conformer à l'image d'Épinal de la sorcière pour plaire à ses clients, jusqu'à coller au stéréotype, s'y perdre et devenir un monstre. Ici Susan SMIT nous parle de celles qui n'ont jamais cherché à être qualifiées de sorcières, celles qui ne vivaient pas des services qu'elles rendaient, celles qui étaient proches de la nature, des plantes, qui savaient qu'elles n'avaient pas de pouvoirs magiques et qui ne croyaient pas plus au Diable qu'à Dieu. Des herboristes, des sages femmes, des apothicairesses, des païennes, des grandes gueules, … Voilà qui étaient les sorcières, des femmes intelligentes à l'esprit libre à qui on a fait payé cher leur audace. Des femmes de science, des observatrices, pas des bigotes, des superstitieuses ou des soumises. Là était leur faute.

Tuer des sorcières ce n'était pas simplement tuer quelques femmes, c'était faire un exemple pour tenir les autres en laisse, les garder soumise. C'était aussi briser la sororité qui aurait pu les unir car il n'était pas rare que, ivre de douleur, une sorcière dénonce une autre femme pour abréger ses souffrances. Dans ces conditions pour une femme, toutes les autres étaient potentiellement dangereuses. Un bon moyen de garder la femme à la maison soumise à son mari et à Dieu. Discréditer ces femmes c'est renforcer l'emprise de l'Église: c'est Dieu qui accorde des faveurs et inflige les épreuves pas la nature, prétendre pouvoir adoucir les punitions de Dieu ou s'en prémunir relève du blasphème. Subir, prier, courber l'échine et rien d'autre.

Mais ce livre c'est avant tout l'histoire de la vie de Entgen. Une vie porteuse de réflexions sur les relations humaines entre un mari et sa femme, entre une mère et sa fille. Des questionnements riches et profonds.

C'est aussi une ode à la nature portée par une écriture sensorielle et poétique. J'ai aimé ces longues balades dans la lande néerlandaise, ses odeurs, ses couleurs, jusqu'à sentir le vent se poser sur moi. Des promenades comme un baume apaisant sur les coeurs. Un bonheur simple qui dompte les plus grandes colères et efface les injustices des hommes parce que la nature est au-delà de tout ça.

J'ai aimé écouter Entgen me parler de son mari qu'elle aimait à sa façon sans savoir si c'était la bonne, de sa relation compliquée avec sa mère, de celle plus douce avec ses frères et soeurs, de l'admiration qu'elle vouait à son père, du lien si particulier qui l'unissait à sa fille. J'ai aimé ce personnage tellement fort et fragile. Touchant par sa grandeur d'âme et par ses doutes.

Et par dessus tout j'ai aimé cette plume qui ressource le lecteur et lui procure une joie enfantine et une liberté que l'on respire à plein poumons.
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