AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fbalestas


Voilà un moment que j'avais envie de lire quelque chose de l'autrice de « Sourires de loup » qui m'avait laissé un excellent souvenir.

C'est le cadeau d'un petit livre de poche, « Indices » – le titre original étant « Intimations » - qui m'en a donnée l'occasion : Zadie Smith l'a écrit pendant la période du confinement, alors qu'elle séjourne à New York. 6 petits essais, de longueurs différentes racontent ses réflexions alors que le COVID commence à sévir un peu partout. Elle qui n'a que sa plume comme instrument se plonge dans la philosophie – elle lit Marc-Aurèle et ses « Pensées » - et ressort de la période « avec deux fort précieuses indications. Converser avec soi-même peut être utile. Ecrire, c'est donner à entendre » dit-elle en introduction.

« Pivoines » est le titre du premier essai, écrit à Londres juste avant son départ. de l'autre côté d'une grille, elle découvre un parterre de tulipes, et c'est toute une réflexion sur le corps des femmes, de celles qui ont des « cycles », où l'on parle de « Natural Woman » alors qu'il ne viendrait à personne de parler d' »Homme naturel ». Elle compare ensuite l'acte de planter un bulbe à celui de l'écriture. « Face aux choses qui nous arrivent », dit-elle « nous nous efforçons tous de nous adapter, d'apprendre, de nous accommoder, parfois de résister, d'autres fois de nous soumettre. Mais les écrivains ne s'arrêtent pas là : ils se saisissent de toute cette masse informe de confusion, et ils la coulent dans un moule de leur conception. Ecrire, c'est entièrement résister », conclue-t-elle de cette comparaison.
« Elles étaient tulipes. Je les voulais pivoines. Dans mon histoire elles le sont, et le seront (…) car, lorsque j'écris, l'espace et le temps même se plient à ma volonté » : il y a là matière à réflexion sur l'écriture.

Le second essai s'intitule »L'exception américaine », et sur ces réflexions qui fleurissaient au début du confinement comme « J'aimerais qu'on puisse retrouver notre vie d'avant » …. Parce que dans ce temps-là « on n'avait pas la mort ». Et Zadie Smith de se livre à une réflexion sur la culpabilité américaine sur le fait que les morts du COVID devraient en quelque manière se sentir responsables de ce qui leur arrive. Elle brosse un portrait des plus sévères de cette Amérique qui a longtemps imaginé être à l'abri des épidémies, et qui a longtemps cru que les crises et les guerres lui seraient épargnées.

Elle poursuit avec « Quelque chose à faire » et le confinement permet ce retour réflexif sur ce que l'on fait et l'utilité que cela peut avoir … surtout au regard des urgences sanitaires. Nous pourrions tous croire qu'être écrivain faciliterait le passage au confinement : on découvre qu'il n'en est rien pour elle, bien au contraire : « Au lieu de cela, dès la première semaine, j'ai découvert à quel point ma vie d'avant consistai à me dérober à la vie. »

C'est au tour ensuite de »Souffrir comme Mel Gibson » : le titre provient d'une photographie sur laquelle l'acteur s'adresse à Jésus-Christ dégoulinant de sang avec sa couronne d'épines. Et la légende est la suivante : « Quand j'explique à mes amis parents d'enfants de moins de six ans ce que c'est que d'être confiné seul». Tous les parents qui ont subi le confinement avec enfants voient très bien de quoi elle parle ….

Le cinquième essai intitulé « Captures d'écran (Après Berger, avant le virus) » est le plus long. Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur le fait qu'elle cite l'auteur John Berger qui est l'un des mes auteurs britanniques fétiches – on peut lire de lui par exemple « Photocopies » que j'avais chroniqué en son temps.

Mais je citerai surtout l'avant dernière partie, où il est question d'une provocation à Central Park. Les New-Yorkais y sont décrits avec tout un tas de bizarrerie – il faut lire les portraits de Ben, Myron ou encore la savoureuse Barbara. Mais le meilleur passage est celui où la narratrice découvre dans le fameux Park un homme avec une pancarte autour du cou indiquant : « JE SUIS ASIATIQUE ET JE ME HAIS. PARLONS-EN » - et il y a de quoi être surpris en effet.

Que signifie se soumettre ou résister à une nouvelle réalité, comme celle du confinement ? Dans notre isolement, quelle place accorder aux autres et à soi ? Comment devons-nous penser à eux ? Et que faire qui ait du sens ? Et quel est ce « mépris » qui ravage les sociétés – par exemple anglaise – et qui considère les gens uniquement sous le prisme de leur mérité social ?

Au même moment où arrive la vague de ces « vies noires qui comptent » qui va déferler sur les Etats-Unis, ce sont autant de questions que l'autrice britannique nous partage ici, avec brio et intelligence et toujours avec un style qui lui est bien familier : ce fut bien agréable de partager ces réflexions avec elle le temps d'un essai, je vous le recommande.
Commenter  J’apprécie          354



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}